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Cahiers antispécistes n°11 - décembre 1994

En défense de Singer ou sur le Noble Art de toujours avoir bonne conscience

Sur la libération animale, la défense animale et Peter Singer

Dans le même numéro des Cahiers antispécistes est parue une réponse de David Olivier à cette lettre.

Des désaccords portant sur les méthodes de travail futures ont conduit à une situation dans laquelle Paola Cavalieri et les militants italiens et français ne collaborent plus avec Peter Singer et d'autres au sein du Great Ape Project (GAP). Le désaccord le plus clair concernait la question de savoir si le GAP doit collaborer ou non avec les organisations de droits des animaux qui existent dans le monde. Paola Cavalieri ne désirait pas cette collaboration, lui préférant la « pureté théorique », alors que Peter Singer se prononçait en faveur de la collaboration.

Ce n'est pas la première fois que deux points de vue divergents apparaissent quant à la meilleure façon de travailler pour atteindre l'égalité entre tous les animaux conscients. Un groupe, petit jusque lors, désire se concentrer sur les idéaux et rester entre soi, tandis que l'autre, plus nombreux, voit dans le travail pratique dans le monde tel qu'il est la seule façon d'atteindre un jour nos objectifs.

Le désaccord au sujet des méthodes a été rendu particulièrement clair dans le dernier numéro de la revue Les Cahiers antispécistes (n°10, septembre 1994). Dans un article, publié pour faire bonne mesure à la fois en anglais et en français, le rédacteur de la revue, David Olivier, attaque Peter Singer d'une façon insinuante et, en partie, carrément insolente. Olivier prétend que Singer a trahi, plusieurs fois, les idéaux qu'il a lui-même formulés, et qu'il fraternise, avec suffisance et sous couvert de collaboration, avec les organisations des droits des animaux qui l'honorent.

Olivier ne tient pas en grande estime les organisations pour les droits des animaux et désire au contraire changer les choses entièrement par des moyens politiques. Sa critique des organisations pour les droits des animaux est parfois pertinente, sans aucun doute, mais il commet quelques erreurs qui rendent son argumentation beaucoup moins attirante.

Tout d'abord, Peter Singer n'est pas personnellement responsable des actions des organisations pour les droits des animaux et de leurs insuffisances. Il est vrai qu'il reste des défenseurs traditionnels des animaux, et il est vrai également que ces personnes, volontairement ou non, perpétuent l'oppression des animaux non humains. Mais cette situation résulte non de ce que ces gens ont adopté la pensée de Singer, mais plutôt de ce qu'ils ne l'ont pas fait, ou ne l'ont fait que superficiellement.

Deuxièmement, l'image donnée des organisations pour les droits des animaux est déformée. Je ne sais pas quelle expérience a eue David Olivier en France, mais pour moi il est évident qu'il y a, au sein de plusieurs organisations pour les droits des animaux, bon nombre de forces puissantes et souvent dominantes qui travaillent de façon rationnelle et pratique.

Troisièmement, Olivier oublie la nature de la réalité et néglige l'importance de son analyse réaliste et du travail pratique. Je citerai Steve Sapontzis sur ce sujet :

Les idéaux sont nécessaires pour guider l'action morale, mais nous ne pouvons pas déduire ce qu'il convient de faire à partir des idéaux seuls. L'action est déterminée non seulement par les ideaux mais aussi par le matériau avec lequel nous avons à travailler dans le but de les réaliser. Et le matériau dans le cas de la libération animale (...) ce sont les êtres humains tels qu'ils sont aujourd'hui, avec leurs capacités et incapacités actuelles, leurs sensibilités et insensibilités et leurs cultures établies, leurs croyances et pratiques morales (ou immorales) actuelles, leurs dépendances économiques et visions mondiales présentes. (...) ceux qui insistent pour que tous les projets de libération animale se concentrent exclusivement sur l'idéal, et rejettent avec dédain toute adaptation des idées libérationnistes à la réalité d'aujourd'hui, réussiront probablement seulement à se sentir les mains propres et la conscience pure. Restant volontairement à l'écart d'une grande partie des forces qui meuvent et forgent la réalité, ils ont peu de chances de réussir à aider les animaux non humains, et les splendides idéaux qu'ils chérissent resteront sans doute de simples idéaux tandis que les animaux non humains continuent à souffrir et à mourir sans soulagement.

The Great Ape Project, pages 276 et 277

La valeur de ce qu'a accompli Peter Singer ne peut être surestimée. Il mérite d'être reconnu, respecté et soutenu. L'attaquer parce qu'il a choisi de travailler au sein de la réalité avec tous ses défauts c'est faire preuve d'une immaturité et d'un manque de discernement équivalents à ce que serait attaquer Gandhi pour avoir travaillé au niveau politique pour l'indépendance de l'Inde au lieu d'en écrire plus au sujet de l' « ahimsa », ou reprocher à Albert Schweitzer d'être allé en Afrique pour soulager la misère et la maladie plutôt que d'être resté en Allemagne pour affiner théoriquement son éthique de révérence pour la vie.

Les difficultés dans la collaboration et les débats théoriques sans fin ne seraient pas si déprimants s'ils portaient sur le maintien de la règle d'hors-jeu au football ; ici il s'agit de la question de la souffrance des animaux non humains, et l'importance de la collaboration ne devrait-elle pas paraître évidente à tous ?

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