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Cahiers antispécistes n°15-16 - avril 1998

Sur Florence Burgat, La Protection de l’animal

Décidément, Florence Burgat est très productive. Après la sortie en 1995 de son « Que Sais-je ? » sur L'animal dans les pratiques de consommation, voici qu'elle publie un autre « Que Sais-je ? », intitulé La protection de l'animal [1], ainsi qu'un livre chez Odile Jacob, Animal, mon prochain, plus philosophique. Nous espérons traiter de ce dernier dans le prochain numéro des CA ; je présente ici La Protection de l'animal.

Malgré son titre, cet ouvrage inclut une présentation détaillée des thèses antispécistes, en leur donnant une place importante dans le paysage « animaliste » français. De plus, la confusion que l'on pourrait craindre est écartée :

Entendue de manière moderne, [la notion de protection] semble renvoyer au champ des activités concrètes, et des mesures réglementaires, plutôt qu'à une critique de fond des problèmes éthiques posés par la mise à disposition de l'animal par l'homme. De ce fait, son objectif premier n'est pas de remettre en question le principe de l'exploitation, mais avant tout d'en adoucir les modalités. On pourrait dire que la protection se situe toujours en aval de la pratique habituelle. Nous verrons que les associations consacrées à la réflexion sur les fondements de l'assujettissement, à travers la réclamation de droits pour l'animal ou la défense d'une vision antispéciste du monde, se distinguent nettement des associations de protection au sens classique, et revendiquent cette différence. (p. 10)

L'ouvrage fait le tour de la situation actuelle, des associations et organisations « animalistes », mais aussi des lois et règlements concernant les animaux, et aborde de nombreuses questions pratiques relatives aux animaux de compagnie. Sérieux et très complet, il précise divers points trop rarement abordés. Ainsi, à propos de la « place de l'animal dans la protection de la nature et dans celle de l'environnement » :

Les associations de défense de la nature ne reconnaissent pas d'existence individuelle à l'animal qui n'est qu'un élément indissociable du groupe spécifique auquel il appartient, qui n'est à son tour qu'une partie de la grande chaîne écologique. (...) La protection de l'environnement, quant à elle, a une finalité purement anthropocentrique. (p. 16 et 17)

L'auteure consacre aussi plusieurs pages aux « Droits de l'animal, libération animale et égalité animale » ; dans la rubrique Droits de l'animal, elle mentionne la « Déclaration Universelle des Droits de l'Animal », dont nous pensons beaucoup de mal [2], mais, bizarrement, ne la présente pas : elle ne parle plus ensuite que de la protection animale, en se demandant si sa politique oeuvre à long terme dans le sens de la disparition de la domination ou au contraire contribue à la pérenniser :

Encore une fois, afin de bien comprendre l'esprit de la protection, il faut distinguer entre d'une part des revendications qui, pour avoir une chance d'aboutir à une amélioration concrète de la condition animale, doivent être recevables par les ministères et les groupes professionnels, c'est-à-dire nécessairement s'inscrire dans un contexte absolument opposé à l'émancipation des animaux et, d'autre part, une réflexion éthique fondamentale sur les principes de l'assujetissement de l'animal par l'homme. On le voit, deux lectures de la protection sont possibles : on peut soit considérer que celle-ci entérine l'infériorité de l'animal sans mener la critique de ce statut, soit envisager positivement la protection à la fois comme le seul remède actuellement possible et comme la manière la plus immédiatement efficace d'aider les animaux. (p. 18)

En fait, je crois que ce passage, quoique censé mettre en scène la protection animale, fait bien référence à la « Déclaration Universelle » et essaye de la justifier en la positionnant entre défense et libération animale, en concluant :

Ne faut-il donc pas (...) voir dans la protection de l'animal la première étape de la reconnaissance de ses droits, voire un jour de sa libération ? (p. 18)

Plus loin, Florence Burgat écrit encore :

[Au sein de la Protection animale] on peut distinguer, pour simplifier, une position « réformiste » et une position « radicale » (...) La position radicale est illustrée par les principes énoncés dans la Déclaration des droits de l'animal et, de manière plus profonde et divergente sur certains points, par ceux de la libération animale et de l'antispécisme. On peut conclure à une convergence en ce qui concerne la finalité de l'action, et à des divergences dans les principes qui fondent cette action. (p. 21)

Je ne suis pas d'accord. Je pense d'une part que cette Déclaration s'aligne complètement sur les positions traditionnelles de la protection animale, et d'autre part, je ne crois pas du tout que ce qui différencie l'antispécisme de la protection animale soit une question de radicalité, comme nous l'avions souligné dès le premier numéro des Cahiers [3] ; certaines protectionnistes sont tout à fait radicales dans leur genre. Non, il s'agit bien d'une opposition réelle concernant les objectifs. Les antispécistes luttent pour la fin du spécisme et oeuvrent dans ce sens, alors que les personnes de la protection animale, quelque idée qu'elles se fassent d'elles-mêmes et quelles que soient leurs idées, non seulement n'oeuvrent pas contre le spécisme, mais l'entretiennent, voire l'utilisent. Analyser l'antispécisme comme étant dans la continuité de la protection animale, comme le fait F. Burgat, nie le fossé politique qui sépare les deux mouvements et, incidemment, permet de faire passer la Déclaration pour une position radicale et proche de l'antispécisme. Ceux et celles qui luttaient pour l'amélioration de l'esclavage au XIXe siècle n'étaient pas les mêmes que les partisanes de son abolition. C'est par l'action de ces dernières que l'esclavage a été aboli, indépendamment, voire contre, l'action humanitaire des autres. De fait, ce n'est certainement pas un hasard si l'immense majorité des antispécistes françaises ne viennent pas des milieux de défense animale, mais bien de mouvances politiques de gauche...

F. Burgat est pourtant bien consciente par ailleurs de cette dimension politique ; la rubrique suivante, consacrée à la libération animale, présente Jérémie Bentham et Peter Singer, les thèses éthiques et la notion de spécisme, et les Cahiers antispécistes. Bizarrement (lorsqu'on a lu son autre livre, Animal, mon prochain, dans lequel elle se réfère beaucoup à la pitié) elle insiste ici, en reprenant ce qu'en dit P. Singer, sur l'insuffisance du recours à cette même pitié :

Si la pitié peut interpeler éthiquement chacun d'entre nous au spectacle de la souffrance animale, elle ne peut suffire, en tant que sentiment individuel, à s'attaquer politiquement au problème de l'exploitation des animaux. (p. 20)

Elle présente ensuite « l'antispécisme et l'égalité animale », c'est-à-dire en fait la Fédération antispéciste, dont les « principes de base » sont plus loin cités en intégralité (tout comme d'ailleurs la Déclaration Universelle) :

La Fédération antispéciste, créée en 1995, tient à faire une distinction entre libération animale et égalité animale, et préfère se référer à cette dernière notion qui ne fait rentrer en ligne de compte aucun autre type d'argument que ceux émanant des seuls principes éthiques [4].

De façon générale, F. Burgat nous donne un excellent état des lieux et, comme dans ses autres livres, de très nombreuses informations en tous genres, très utiles. En ce qui concerne plus particulièrement l'antispécisme, livres et revue sont cités, de nombreuses adresses sont mentionnées, y compris celle (ancienne) de Veg' et Chat, association antispéciste qui diffuse des aliments végétaliens pour chats, et dont le livre parle de façon positive.

Sans y répondre, ce petit livre pose aussi d'excellentes questions :

Les obstacles à la protection de l'animal sont de plusieurs ordres : économiques, financiers, mais aussi symboliques. L'inscription de l'exploitation de l'animal dans des traditions culturelles en fait en quelque sorte une donnée anthropologique fondamentale. Il y aurait eu un passage progressif d'une utilisation vitale (chasse de survie et autres situations de légitime défense) à des fins de luxe, au fur et à mesure que la mise à mort de l'animal se dépouillait de tout caractère transgressif, puis à des pratiques cruelles purement symboliques. L'humanité aurait-elle cherché, par cet assujettissement à se dessiner une essence bien distincte de l'animalité ? Si ces problèmes dépassent le cadre de la présente étude, ils n'en constituent pas moins l'horizon philosophique auquel renvoie la question qui nous occupe. (p. 23)

[1] F. Burgat, La protection de l'animal, coll. « Que Sais-je ? » (n°3147), éd. P.U.F., mars 1997.

[2] Cf. les Cahiers n°2, janvier 1992.

[3] D. Olivier, « Défense animale/libération animale », Cahiers antispécistes n°1, oct. 1991, p.10.

[4] Op. cit., p. 20. L'auteure aurait pu à ce compte inclure les Cahiers dans cette rubrique, bien que nous conservions alors encore pour nous définir la notion de libération animale.

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