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Cahiers antispécistes n°21 - février 2002

Rattling the cage

Chapitre 6 : « Liberté et égalité »

Traduit de l’anglais par Florence Lobrecht

Nous remercions Steven Wise et les éditions Profile Books pour l’autorisation de traduire et de publier ce texte.

La rédaction

« Des limites irrévocables et définitives aux décrets des hommes »

Deux frères gisent sur un champ de bataille, chacun tué par l'épée de l'autre. Le roi victorieux a décrété que le frère mort en défendant sa cité, son neveu, doit être inhumé avec les plus grands honneurs. L'autre doit être exposé aux chiens et aux charognards. Quiconque tentera de l'enterrer sera mis à mort. Malgré cela, leur sœur enterre ouvertement le frère tombé en disgrâce et doit affronter la fureur de l'oncle. « Tu as osé passer outre à mes lois » lance celui-ci. « Oui », répond-elle,

car ce n'est pas Zeus qui les a proclamées, et la Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais infaillibles [1]

Le champ de bataille était celui de Thèbes ; le roi, Créon ; la sœur et nièce, l'héroïne de la pièce de théâtre de Sophocle datant de 441 avant J.C., Antigone.

Vingt-trois siècles plus tard, les descendants d'Antigone et du roi Créon entrèrent en guerre en Amérique. Les pères fondateurs de la Confédération des États Américains se trouvèrent dès le départ confrontés à un problème juridique et politique majeur : comment établir une constitution qui garantisse la liberté des Blancs et l'esclavage des Noirs sans le dire explicitement ? Ils décidèrent de concevoir la nouvelle Confédération en tant que nation regroupant non pas des individus, mais des États [2]. Les seuls droits des Confédérés étaient ceux accordés par les États. À cela, Abraham Lincoln répondit pour le compte de l'Union à Gettysburg : « Il y a quatre-vingt sept ans, nos pères ont donné naissance sur ce continent à une nation nouvelle, conçue dans la liberté et attachée à l'idée que tous les hommes naissent égaux. »

Au cours du siècle suivant, un autre décret demanda aux médecins d'identifier les personnes atteintes d'une maladie incurable ainsi que les adultes et les enfants souffrant de schizophrénie, de sénilité, de folie, d'idiotie, de maladies chroniques du système nerveux, d'épilepsie, d'imbécillité, de paralysie et de différentes sortes de maladies héréditaires graves. Une fois identifiées, ces personnes furent tuées [3]

Les décrets d'Adolf Hitler constituaient, selon l'avis d'un des plus célèbres spécialistes du droit constitutionnel nazi, exprimé en 1943, « le centre même de l'ordre juridique actuel » [4].

Comme Antigone, Hans et Sophie Scholl, qui formaient le noyau de la Rose Blanche, un groupuscule d'étudiants, furent exécutés pour avoir distribué des tracts dénonçant les crimes nazis. Les Scholl devinrent dans l'Allemagne nazie le symbole des personnes « obligées de payer pour avoir cru que les droits de l'homme comptent plus que l'obéissance à des lois arbitraires » [5].

Contrairement à Antigone et aux Scholl, les médecins, les infirmières et bien d'autres Allemands obéirent. Dans un jugement de 1947 rendu à Francfort contre des travailleurs médicaux d'Hadamar, l'un des centres d'euthanasie, un juge allemand déclara :

En règle générale, la simple régularité formelle d'une loi suffit à rendre celle-ci valide et à obliger tous les citoyens à s'y soumettre. Par conséquent, il n'est en général pas permis aux juristes et aux moralistes d'un pays d'examiner la validité d'une telle loi. Il est important de reconnaître ceci de façon explicite pour pouvoir conserver une application uniforme et stable de la loi. Car autrement, l'instabilité juridique, l'arbitraire et finalement la révolution deviendraient des situations permanentes et toute vie communautaire basée sur le droit et l'ordre deviendrait impossible. Il est cependant tout aussi essentiel d'affirmer qu'il existe certaines limites au caractère incontestable de la loi. Ces limites existent parce que l'État n'est jamais l'unique source de tout le droit et ne doit en aucun cas pouvoir déterminer arbitrairement ce qui est bien et ce qui est mal. Il existe une loi supérieure à toute loi formelle, critère suprême pour évaluer cette dernière : c'est le droit naturel, qui fixe des limites irrévocables et définitives aux décrets des hommes. Certains principes juridiques sont si profondément enracinés dans la nature que toute obligation morale ou juridique doit être conçue en conformité avec eux. De tels principes juridiques ont force de loi parce qu'ils sont indépendants des vicissitudes dues au temps et aux croyances des hommes, millénaire après millénaire ; ils restent constants et valables à toutes les époques. L'idée d'une nécessaire équation entre le droit et la justice est globalement acceptable, mais seulement si elle contient implicitement la restriction que l'on vient d'énoncer. Si une loi contrevient en quoi que ce soit aux normes éternelles du droit naturel, cela empêchera qu'elle puisse être considérée juste. Non seulement elle perd son caractère obligatoire pour le citoyen, mais elle n'est pas valide en droit, et donc le citoyen ne doit pas y obéir [6].

Michael Ignatieff, qui enseigne l'histoire des droits de l'homme à la London School of Economics, a écrit que « l'Holocauste a révélé le visage du monde quand le droit naturel est abrogé, quand la tyrannie pure peut donner libre cours à sa volonté [7]. » La Charte de Nuremberg autorise la poursuite en justice des crimes nazis « qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés » [8]. Selon Robert Jackson, juge à la Cour suprême des États Unis et Procureur principal à Nuremberg, « le véritable plaignant » est « la Civilisation » [9]. Le tribunal allait plus tard affirmer que « l'humanité est le sujet de droit qui a subi le préjudice [10] » En 1961, Adolf Eichmann, l'un des principaux et des plus efficaces responsables de l'Holocauste, encourait lors de son procès à Jérusalem la peine de mort. Il affirma tranquillement à cette occasion que « tout ce qu'il avait pu faire, pour autant qu'il ait pu en juger, il l'avait fait en citoyen respectueux de la loi. Il avait fait son devoir, comme il le dit et répéta à la police et au tribunal ; il avait obéi non seulement aux ordres, mais aussi à la loi. [11] »

L'État doit-il avoir le dernier mot au sujet de ce qui est bien et juste ? Ou bien doit-on s'en remettre à une autre entité, telle que la nature ou Dieu ? Le droit naturel, les droits naturels, la justice naturelle existent-ils ? Ou bien est-ce que, au contraire, le droit, les droits et la justice sont uniquement ce que définissent juges et législateurs [12] ?

Antigone et Créon, Lincoln et Jefferson Davis, Hitler et les Scholl, les médecins tueurs d'Hadamar et leur juge allemand, Adolf Eichmann et son juge juif étaient sur ce sujet en désaccord.

La question centrale est celle-ci : les choses, les êtres ou les idées ont-ils de la valeur parce que nous leur en accordons ou parce qu'ils en ont intrinsèquement ? Si les animaux non humains ou humains ont de la valeur seulement parce que nous leur en accordons, alors ils n'ont pas de valeur quand nous ne leur en accordons pas, et il faut reconnaître qu'Adolf Eichmann, Adolf Hitler et les médecins tueurs d'Hadamar, qui n'accordaient aucune valeur à plusieurs catégories d'êtres humains, avaient raison. Il s'en suivrait que la Solution Finale, légale dans l'Allemagne nazie, ne fut ni illégale ni injuste. Ce seraient au contraire les juges de Nuremberg, Francfort et Jérusalem qui agirent illégalement et injustement.

À l'inverse, si les humains, ou les animaux non humains, ont une valeur intrinsèque, alors c'est au prix terrible d'une injustice monumentale que nous ignorons cette valeur. Au premier siècle avant J.C., Cicéron écrivait : « Il ne doit pas y avoir de lois différentes à Rome et à Athènes, maintenant et dans le futur, mais un droit éternel, immuable et valable pour toutes les nations et à toutes les époques [13]. » « Les textes de lois mauvais ou injustes, insistait-il, ne constituent en aucune façon une loi [14]. » Natty Bummpo, le héros de James Fenimore Cooper dans Le Roman de Bas-de-Cuir, qui raconte la vie aux abords de la Frontière américaine du XVIIIe siècle, dit de façon savoureuse : « Quand les lois de la colonie ou les lois du roi vont à l'encont' des lois de Dieu, elles sont fo'cément illégales, et ne doivent pas êt' respectées [15]. » Si le juge de Francfort n'avait très probablement jamais entendu parler de Natty Bummpo, il n'est pas impossible qu'il ait eu Sophocle ou Cicéron à l'esprit (voire sur son bureau) quand il rédigea son jugement sur les médecins tueurs d'Hadamar. S'ils avaient raison, alors l'esclavage était mal même si tout le monde pensait le contraire. Alors Hans et Sophie Scholl, et les juges de Nuremberg et de Francfort et de Jérusalem avaient raison et les Nazis avaient tort. Les Confédérés avaient tort et M. Lincoln avait raison.

« Quand je dis que quelque chose est vrai, je veux dire que je ne peux pas m'empêcher d'y croire. »

Pour décider si les humains doivent avoir des droits juridiques fondamentaux, nous dit Isaiah Berlin, il faut faire appel aux moyens innombrables, polymorphes et complexes par lesquels il nous est possible de « déterminer le bien et le mal, c'est-à-dire nos valeurs morales, religieuses, intellectuelles, économiques et esthétiques. » La détermination de nos droits est « liée à notre conception de l'homme et des besoins premiers de sa nature16. » Pour décider si les animaux doivent avoir des droits juridiques fondamentaux, il faudrait procéder de façon similaire, en fonction de la conception que nous avons d'eux, des besoins de leur nature, et de comment nous déterminons le bien et le mal.

Dans le reste de ce chapitre, nous chercherons à comprendre pourquoi on accorde des droits juridiques fondamentaux aux humains, car si l'on ne comprend pas cela, on ne peut pas non plus comprendre pourquoi il faudrait en accorder aux animaux non humains. La tradition juridique occidentale détermine l'octroi de droits fondamentaux en fonction de valeurs qui guident le « jugement raisonné »17. On parle souvent de valeurs : les valeurs familiales, les valeurs judéo-chrétiennes, les valeurs sociales... Les valeurs sont les matériaux de construction de nos vies morales. Elles habitent nos âmes. Elles marquent les derniers bastions de nos convictions18. Les valeurs ont à la fois un aspect subjectif, ou de sensibilité (que nous appellerons « convictions ») et un aspect objectif, ou de réflexion. Les décisions portant sur les droits juridiques fondamentaux reposent sur elles.
Les convictions sont personnelles. C'est parfois par instinct, pour ainsi dire, que nous croyons. Nos convictions ne sont pas nécessairement logiques ; elles peuvent même être irrationnelles ; elles sont souvent inconscientes ; et malgré tout nous les tenons pour vraies et allons jusqu'à les considérer comme inattaquables, même si nous ne pouvons pas les prouver. Tenter de les modifier est une tâche considérable. Les juges évolués comprennent que leurs jugements en subissent l'influence. « Quand je dis que quelque chose est vrai, déclarait Oliver Wendell Holmes, je veux dire que je ne peux pas m'empêcher d'y croire19. » Comme nous tous, les juges sont parfois emportés par le courant des « je ne peux pas m'empêcher » de Holmes. À l'instar de Holmes, le juge à la Cour suprême des États-Unis William Brennan a compris que lorsque les juges rendent des décisions, « des réactions émotionnelles et intuitives (...) jaillissent dans la conscience, bien avant le pesant syllogisme de la raison20. » Le neurologue Oliver Sacks raconte l'histoire d'un juge victime d'un traumatisme cérébral le privant de toute émotion.
On pourrait croire que l'absence d'émotion - et des préjugés qui l'accompagnent - l'aurait rendu plus impartial, donc tout spécialement qualifié, en tant que juge. Mais lui-même, avec beaucoup de lucidité, démissionna en expliquant qu'il n'était plus capable de pénétrer par sympathie les mobiles des personnes concernées, et que, la justice impliquant de la sensibilité et pas simplement de la réflexion, il trouvait que ses lésions le rendaient totalement inapte à ses fonctions.
Une expérience récente apporte un soutien scientifique à ce que Holmes, Brennan et le juge victime d'un traumatisme cérébral dont parle Sacks avaient compris intuitivement. Il a été prouvé que des joueurs de cartes commencent à jouer judicieusement avant même de pouvoir expliquer de façon consciente quelle stratégie ils utilisent. Ils affichent des signes physiques de stress chaque fois qu'ils envisagent une manœuvre effectivement risquée, bien qu'ils n'aient pas conscience de ce risque. Les chercheurs en ont conclu que les expériences émotionnelles préalables peuvent déclencher chez les preneurs de décisions des « préjugés inconscients » qui précèdent le raisonnement conscient et peuvent influencer les décisions sans même que le décideur le sache22.
Les convictions peuvent varier en fonction de l'époque, du lieu, de la religion, de la culture, de l'histoire et de la psychologie individuelle. Les valeurs d'un même individu peuvent changer, à mesure que changent sa sensibilité et ses attitudes. L'apôtre Paul, qui fut conduit aveugle et sans défense dans Damas, avait peu en commun avec l'arrogant pharisien Saül, qui s'était mis en route avec entrain quelques jours plus tôt à Jérusalem avec l'intention de soumettre les disciples de Jésus. En effet, la conversion de Paul « sur le chemin de Damas » en est venue à symboliser à quel point peuvent être rapides les changements de conviction. Les convictions de sociétés entières peuvent changer. Aujourd'hui, hormis les esclavagistes du Soudan, presque tout le monde pense que l'esclavage humain est une mauvaise chose. Mais il y a trois cents ans, cette conviction était rare. Il y a trois mille ans, elle n'existait pas.
Si un juge admet, devant la preuve, qu'un fait n'affectant pas ses convictions profondes est vrai, la preuve contraire peut assez facilement le convaincre que ce même fait est faux. Il peut croire le témoin qui déclare n'être jamais allé au 2221 North Dayton Street, mais lorsqu'il apprend que les empreintes de ce témoin ont été relevées sur un vase dans la salle à manger, sur une photographie accrochée à un mur du salon et sur le réfrigérateur dans la cuisine, il peut abandonner sa conviction première sans trop de difficulté. Mais comme nous le verrons, lorsque les faits et les opinions entrent en conflit avec des convictions profondes, il se peut que ce juge manifeste moins de souplesse. Il peut croire qu'un fait est vrai, non pas à cause de preuves, mais pour des motifs personnels ou sociaux. Si cette conviction est une clef de voûte émotionnelle dans la structure de son monde (l'un des « je ne peux pas m'empêcher » de Holmes), même des faits incontestablement contraires ne réussiront pas à lui faire admettre que sa conviction profonde est fausse23.
L'avancée de la connaissance,
enterrement après enterrement
Nous combattons avec ténacité pour défendre nos convictions profondes, consciemment et inconsciemment, loyalement et déloyalement : tous les moyens sont bons. Nous pouvons ne pas tenir compte de données discordantes, ou bien les rejeter purement et simplement, refuser de les prendre en considération. Nous pouvons les mettre de côté, avec l'intention de nous en occuper « plus tard ». Nous pouvons les réinterpréter ou les remodeler de façon à ce qu'elles ne soient plus en contradiction avec nos convictions24. Tout argument est bon pour contrer ce qui les menace et pour les entourer d'une barrière protectrice25. Si aucune de ces combines mentales ne fonctionne, et que la contradiction commence à pénétrer nos défenses, nous pouvons consentir à rogner la périphérie d'une conviction, permettant ainsi à son noyau central de survivre26. Dans le cas improbable où nous nous trouvons forcés de modifier le noyau central, nous pouvons compter sur sa résilience et sa capacité à reprendre peu à peu sa forme initiale. En bref, les convictions survivent à moins que nous soyons fortement motivés pour examiner les données contradictoires avec un esprit aussi impartial que possible, autant que capables et déterminés à y réfléchir en profondeur [16]
En 1610, Galilée pointa son télescope rudimentaire à travers le dôme de St Antoine sur le ciel de Padoue. Ce qu'il vit a donné aux théologiens catholiques, ainsi qu'aux partisans de Ptolémée et d'Aristote, une occasion remarquable de nous révéler comment la défense des convictions fonctionne. La reformulation par St Thomas d'Aquin de la théorie aristotélicienne de l'univers (centré sur la terre et l'homme par la volonté de Dieu) était depuis longtemps devenue dogme officiel. Les corps célestes étaient des sphères parfaites, pareilles à des miroirs, immuables, placées dans des cieux tout aussi parfaits et immuables. Galilée détecta cependant quatre corps célestes assez petits décrivant une orbite autour de Jupiter, comme la lune autour de la terre. Vues à travers un télescope, les phases de Vénus ressemblaient tellement à celles de la lune qu'elles ne pouvaient résulter que d'une orbite autour du soleil. Tandis que ses yeux scrutaient le ciel, Galilée se rendit compte que la terre n'était pas le centre immobile d'un univers autour duquel tout le reste tournait. Voilà qui allait poser problème.
Les corps célestes étaient censés être composés non des quatre éléments formant tout ce qui est terrestre et changeant, mais d'un autre élément, inconnu sur terre et immuable. Mais tandis que Padoue dormait, Galilée regardait des ombres se former lentement et descendre de montagnes culminant à plus de 6000 mètres au-dessus d'une surface lunaire constellée de vallées et de cratères. Ce qui allait constituer un autre problème. Presque aussi inquiétant : pendant la journée, Galilée observait d'affreuses taches noires parcourir la surface solaire réfléchie.
Comment les théologiens aristotéliciens et catholiques allaient-ils réagir à ces observations ? Cesare Cremonini, un éminent aristotélicien de Padoue, ne daigna pas regarder à travers le télescope, disant que cela lui donnait le vertige. Certains refusèrent de regarder au motif que, si Dieu avait voulu que les humains acquièrent des connaissances par ce moyen, Il nous aurait équipés d'un système de vision télescopique. D'autres grommelèrent qu'ils n'avaient pas trouvé l'occasion de regarder ; plus tard, peut-être... Magini, qui avait obtenu une chaire de professeur de mathématiques au détriment de Galilée vingt ans plus tôt, rassembla un groupe d'observateurs à Bologne. Galilée attendait à côté de son tube tandis que les hommes observaient. Il est facile d'imaginer ce qu'il ressentit en voyant chacun d'entre eux se redresser et jurer qu'ils ne voyaient aucun satellite près de Jupiter. D'autres furent plus créatifs dans leur rejet des découvertes de Galilée. Le Père Clavius, le mathématicien le plus respecté du monde, pensait que les montagnes lunaires étaient des illusions d'optique. Il suggéra que Galilée avait peut-être intégré de fausses taches solaires dans le télescope, et que lui-même pouvait fabriquer un instrument similaire. D'autres avancèrent l'idée que les nouveaux objets n'étaient que des imperfections dans les lunettes des observateurs. Ou bien dans leurs yeux. Ou bien ce n'étaient que des cristaux flottant à l'intérieur de l'instrument. Ou encore l'idée que, puisque ce sont les membres et les muscles qui permettent aux animaux de se déplacer, la terre n'ayant ni membres ni muscles ne pouvait se déplacer.
Ludovico della Colombe, un philosophe Florentin, reconnut qu'il pouvait y avoir des montagnes sur la lune, mais que dans ce cas, les sommets étaient profondément enfoncés à l'intérieur de la sphère de cristal forcément parfaite et transparente. Puisque Galilée pensait qu'ils étaient à la surface de la lune, il se trompait. Colombe ( « colombes » en italien) devint le détracteur le plus tenace et le plus excessif de Galilée. Galilée déforma son nom en « pigeons » et surnomma ceux qui défendaient leurs convictions aristotéliciennes fondamentales de façon irrationnelle « la Ligue du Pigeon ».
Puis il y avait le problème de la Bible. La Parole de Dieu disait que le soleil se levait et se couchait. Dieu Lui-même avait arrêté la course du soleil pour donner à Josué et aux Israélites victorieux davantage de jour pour faire périr les Amorites. Un psaume mentionnait que le soleil tournait autour de la Terre, un autre parlait d'un « monde qui ne peut être déplacé ». Mais si la terre n'était qu'une planète quelconque tournant autour du soleil, alors il devait aussi y avoir des individus sur d'autres planètes, car Dieu n'a rien fait en vain. Mais comment pouvaient-ils descendre d'Adam ? Et qu'en était-il du Déluge ? Le cardinal Robert Bellarmine, l'homme le plus puissant à Rome après le pape Paul V, avertit que les Écritures étaient toujours correctes, et qu'elles pouvaient être réinterprétées seulement à la lumière de vérités scientifiques irréfutables. Ce que les vérités scientifiques, bien entendu, ne sont jamais. Et puis qui pouvait sérieusement soutenir que la terre n'était pas parfaitement immobile28 ?
Galilée et les Pigeons étaient en proie à des convictions fondamentales contradictoires. L'historien des sciences Thomas Kuhn remarqua que « les hommes qui voyaient leur foyer terrestre comme une simple planète circulant à l'aveuglette autour d'une étoile parmi une infinité d'autres, évaluaient leur place dans le système cosmique de façon très différente de leurs prédécesseurs, qui voyaient la terre comme le centre focal unique de la Création divine29. » En 1610, Galilée espérait que les objets et les phénomènes révélés par son télescope suffiraient à convaincre les Pigeons de changer d'avis. En 1629, il avait compris que les faire changer d'avis ne dépendait pas d'une simple confrontation de convictions avec des faits. Dans le livre qui lui valut d'être convoqué par l'Inquisition, menacé de torture, puis placé en résidence surveillée pour le restant de ses jours (Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde), le sage Sagredo bondit à la défense de l'insensé Simplicio : « Si vous voulez persuader quelqu'un d'abandonner une opinion qu'il a bue en même temps que le lait de sa mère, il va vous falloir des raisons puissantes. » Cet entêtement des Pigeons, « ne provenait, comme on a pu le dire, que d'un obstacle psychologique, mais si profondément enraciné, si tenace, que seuls quelques esprits particulièrement indépendants pouvaient remettre les choses en question30. » Mais cela allait encore plus loin.

C'est ce que Thomas Kuhn a expliqué dans un livre qualifié d' « œuvre philosophique la plus importante de la seconde moitié du XXe siècle31 » : même des raisons puissantes risquent de ne pas suffire à remettre les choses en question. Parce qu'une « incommensurabilité non rationnelle » existe entre paradigmes rivaux (on peut grossièrement définir un paradigme comme une même vision des choses produite par des convictions communes), un changement d'opinion ne peut jamais être imposé par la logique ou l'expérimentation seules : n'existe que le recours à des valeurs concurrentes [17]. « Justement parce qu'il s'agit d'un passage entre des systèmes incommensurables, écrit Kuhn, le passage entre paradigmes rivaux ne peut pas se faire étape par étape, par la force de la logique ou d'une expérimentation objective. Comme le changement gestaltique, il doit avoir lieu d'un coup (quoique pas nécessairement en un instant), ou pas du tout [18]. » Les flashs d'intuition qui marquent un changement gestaltique tels que celui de St Paul procèdent par saut brusque sans passer par des phases intermédiaires. Ils sont ici, puis là. Kuhn écrit :

L'opposition persistante aux résultats de l'observation télescopique était le symptôme d'une autre opposition, plus profonde et plus durable, aux découvertes de Copernic au XVIIe siècle. Toutes deux venaient de la même source, une réticence inconsciente à avaliser la destruction d'une cosmologie qui, pendant des siècles, avait été la base de la vie matérielle et spirituelle [19].

Ce n'était pas simplement que les Pigeons ne pouvaient pas détruire leur pigeonnier : d'une certaine façon, ils ne le voulaient pas. C'était bien trop effrayant.

Beaucoup d'historiens des sciences et du droit reconnaissent que même des données discordantes pourraient ne pas suffire à pousser leurs collègues à changer de conviction [20]. L'affirmation de Copernic selon laquelle la terre n'est pas le centre de l'univers fut rejetée par la majorité pendant plus d'un siècle, par une minorité pendant plusieurs siècles. Le physicien Max Planck se plaignit qu' « une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convaincant ses détracteurs et en leur faisant apparaître la lumière, mais plutôt parce que ses détracteurs finissent par mourir, et que monte une nouvelle génération familiarisée avec elle. » Darwin désespérait de convaincre ne fut-ce que ses collègues de la véracité de l'évolution par sélection naturelle [21]. Face à des attaques contre des convictions profondes, la connaissance tend à avancer, selon les mots de l'économiste Paul Samuelson, « enterrement après enterrement [22] ».

Pendant la guerre de 1999 entre la Serbie et l'OTAN, beaucoup critiquèrent la décision de l'OTAN de mener une guerre entièrement aérienne, car aucune guerre n'avait été gagnée de la sorte. La critique qui me convainquait le plus venait de John Keegan, un historien anglais de l'armée dont j'admire les écrits. Quand les événements donnèrent tort à Keegan, il reconnut son erreur : « J'ai retourné tout ça dans ma tête pendant un moment et j'ai abordé la question sous des angles différents, un peu comme l'aurait fait un chrétien créationniste en découvrant son premier os de dinosaure. Je ne voulais pas changer mes convictions, mais il y avait trop de preuves accumulées pour continuer à croire religieusement [23]. » Cette exception confirme la règle : Keegan ne se rend pas compte qu'il est doué d'une capacité hors du commun à changer ses convictions, car il est bien rare, le chrétien créationniste qui ne resterait pas collé à ses armes créationnistes même après avoir découvert son premier os de dinosaure.

Croire, c'est voir

Les incommensurabilités existent en l'absence d'une échelle de valeurs commune [24]. Les parents, en règle générale, ne vendent pas leurs enfants, pour quelque somme que ce soit, parce que leur valeur n'est pas pour eux évaluable en argent [25]. Pour Holmes, de telles préférences profondément ancrées sont aussi peu sujettes à discussion que le fait d'aimer la bière. Deux personnes ayant des valeurs incommensurables peuvent trouver un terrain d'entente quand l'une d'elles, ou toutes les deux, changent leurs valeurs, se mettent à la place de l'autre ou acceptent leurs désaccords pour collaborer à un but commun. Einstein pensait que « débattre de jugements de valeurs fondamentales est une entreprise vaine. Par exemple, si quelqu'un est pour l'élimination de la race humaine de la surface de la terre, il nous est impossible de réfuter ce point de vue par la raison [26]. » Les convictions, selon Holmes, « ne se discutent pas et par conséquent, lorsque les différences sont suffisamment importantes, nous essayons de tuer l'autre plutôt que de le laisser gagner [27]. » À l'aube du XVIIe siècle, les inquisiteurs transpercèrent la langue de Giordano Bruno avec une pointe de fer et purent ainsi le conduire Place des Fleurs à Rome jusqu'à sa mort sur le bûcher, de façon qu'il passe sous les huées des spectateurs sans polluer une dernière fois leur esprit avec ses hérésies. On obligea Galilée à s'agenouiller devant les Grands Inquisiteurs du Pape Urbain VIII et à « abjurer, maudire, et détester » sa conviction que la terre tournait. Appomattox décida que la liberté positive de l'esclavagiste des États du Sud ne l'emporterait pas sur la liberté négative de l'esclave du Sud.

Les convictions sont incommensurables quand les différences de religion, de tradition ou de culture accordent des valeurs si différentes aux choses qu'il n'existe aucune façon rationnelle de choisir ou parce que certaines comparaisons sont jugées non pertinentes, immorales ou injustes parce qu'elles dégradent ou déprécient des convictions importantes. Il est possible qu'un homme « ne puisse pas s'empêcher » de penser que la valeur d'un individu d'une autre race, religion, nationalité ou espèce est purement instrumentale. C'est ainsi que de nombreux esclavagistes du Sud des États-Unis considéraient leurs esclaves et leurs animaux domestiques. L'un d'eux, le Sénateur William Harper, déclara à la Société de Caroline du Sud pour la Promotion de l'Education : « l'asservissement d'hom-mes par d'autres hommes est tout autant dans l'ordre de la nature que la prédation d'animaux entre eux [28]. » La question rhétorique de Harper dans ce même discours n'est dès lors pas surprenante : « Qui, à part un fanatique dérangé, a jamais pensé à la nécessité de protéger les animaux domestiques des cruautés de leur maître [29] ? » Cependant, quelqu'un d'autre « ne pourra pas s'empêcher » de croire que la valeur d'un individu n'est en rien instrumentale, mais intrinsèque, importante à cause de la nature de l'individu. C'est ce que pensaient bon nombre d'abolitionnistes.

Les paradigmes scientifiques dominants dictent « non seulement quelles sortes d'entités l'univers contient, mais aussi (...) celles qu'il ne contient pas [30]. » Les paradigmes rendent leurs adeptes aveugles aux entités qui ne sont pas censées exister. Si elles existent, le paradigme ne peut exister. En d'autres termes, ce que voient les scientifiques dépend souvent de ce qu'ils pensent pouvoir être vu [31]. Mais l'aveuglement dû aux paradigmes n'a pas la science pour seul domaine. Même « notre structure éthique est déterminée par les entités que l'on est prêt à remarquer ou à prendre au sérieux [32]. » De même pour notre cadre juridique. Les animaux sont aujourd'hui invisibles aux yeux du droit parce que des juges et des hommes de loi aveuglés par leurs paradigmes ont depuis longtemps cessé de penser que les non-humains pourraient bien être des personnes juridiques. Les convictions les plus profondément ancrées sont les plus difficiles à faire remonter du niveau inconscient du « je le sens bien ! » jusqu'au niveau de la conscience, où elles auront alors quelques chances d'être examinées de façon raisonnée [33]. C'est pourquoi la conviction ancienne selon laquelle « toute loi est établie avec l'homme pour fin » représente un si grand obstacle à la capacité des juges de « voir » la personnalité juridique des animaux non humains.

Cependant, des incursions dans l'incommensurabilité traditionnelle entre humains et non-humains ont commencé. En avril 1999, les primatologues Roger et Deborah Fouts ont présenté à trente juges d'appel de l'État de Washington quelques-uns des résultats des travaux qu'ils ont effectués durant plusieurs décennies avec Washoe, Loulis et les autres chimpanzés de l'Institut de Communication Chimpanzée et Humaine de la Central Washington University. L'un des juges, qui pensait certainement que « toute loi est établie avec l'homme pour fin », fit le commentaire suivant : « cela ne m'apporte rien en tant que juge. » Mais ce qu'en pensa un autre juge, Faith Ireland, Juge à la Cour suprême, nous permet d'entrevoir le monde juridique du millénaire à venir en termes kuhniens. Le Juge Ireland écrivit à un collègue : « [Le discours des Fouts] a remis en question mon paradigme et a ébranlé certaines de mes suppositions et présomptions fondamentales en la matière. (...) Ces défis éthiques (...) trouvent de nombreux parallèles dans notre expérience historique de juge, tels l'esclavage, le droit des femmes, et la déségrégation [34]. » Lorsque j'ai écrit au Juge Ireland pour demander plus de précisions sur le processus permettant ainsi à un juge de passer de l'idée que les intérêts des animaux non humains n'ont aucune pertinence sur le plan juridique, voire constituent une perte de temps, à l'idée qu'ils peuvent être dignes de considération, elle répondit : « Ce qui m'a ouvert les yeux a été de constater de tant de façons différentes à quel point la ligne qui sépare l'homme et le chimpanzé est ténue [35]. »

Une échelle de valeurs commune est en cours de construction par deux côtés. On est en train de reconnaître, à petites doses, que la vie non humaine possède intrinsèquement de la valeur. Le Préambule de la Charte Mondiale de la Nature de l'ONU affirme que les êtres humains sont « une partie de la nature », que « la civilisation [de l'humanité] est ancrée dans la nature » et que « chaque forme de vie est unique et mérite le respect quel que soit son intérêt pour l'homme ; pour accorder aux autres organismes cette reconnaissance, l'homme doit être guidé par un code d'action éthique [36]. » D'influents commentateurs de droit international ont soutenu que le droit à la vie des baleines est en train de devenir, après presque un siècle de développement, une coutume internationale ayant force de loi [37]. En 1996, le gouvernement britannique a interdit l'utilisation des grands singes dans la recherche biomédicale. « C'est une question de morale » a affirmé le gouvernement. « Les caractéristiques et qualités cognitives et comportementales des ces animaux impliquent qu'il n'est pas éthique de les considérer comme utilisables par la recherche [38]. » En octobre 1999, le Parlement de Nouvelle-Zélande a voté un texte de loi interdisant l'utilisation d'un hominidé non humain dans l'enseignement ou dans la recherche, à moins que le directeur général ne détermine que l'utilisation de cet hominidé non humain est faite dans l'intérêt de celui-ci ou de son espèce, et que les atteintes prévisibles pour lui ne l'emportent pas sur les bénéfices pour son espèce [39]. La loi américaine sur les espèces menacées interdit de porter atteinte à des individus d'une espèce non humaine menacée ou en voie de disparition, ou à leur habitat, sauf en cas de circonstances exceptionnelles [40]. D'une certaine façon, au niveau des espèces, cette loi est allée jusqu'à inverser l'incommensurabilité traditionnelle entre intérêts humains et non humains, puisqu'elle reconnaît aux espèces menacées une « valeur incalculable » et leur accorde « la plus grande des priorités », prenant même le pas sur les priorités - au moins économiques - des êtres humains [41].

En même temps, la valeur intrinsèque de la vie humaine devient plus comparable avec d'autres valeurs. Pendant plus d'un millénaire après sa condamnation par St Augustin au Ve siècle, le suicide a été interdit en toutes circonstances par l'Église catholique [42]. Selon le point de vue de Kant au XVIIIe siècle, le suicide traite « la valeur de l'humain comme la valeur de la bête (...) il dégrade la nature humaine au point de la placer en-dessous du niveau de l'animal, et la détruit du même coup [43]. » Dès le XIIIe siècle, la common law* anglaise considérait comme un crime aussi bien le suicide que l'aide au suicide [44]. Mais au plus tard en 1798, parmi les nouveaux États américains, six avaient dépénalisé le suicide [45]. En 1900, moins de la moitié des États punissaient le suicide ; aujourd'hui, aucun [46]. Récemment, un vote majoritaire de la Cour suprême américaine a laissé la porte ouverte à la possibilité d'admettre, dans certaines circonstances, un droit constitutionnel au suicide assisté par des médecins [47]. En attendant, le parlement de chaque État américain a remplacé une common law dictée par l'incommensurabilité hébraïque de la vie humaine par des lois autorisant l'action civile pour homicide et rappelant le droit mésopotamien : ces lois concrétisent une conception plus utilitariste et quantifiable de la vie humaine, qui devient au moins partiellement compensable en argent [48].

L'incommensurabilité hébraïque entre animaux humains et non humains était peut-être appropriée dans une société où le droit s'appuyait expressément sur les exigences d'une religion, ou même quand cette vision des choses recevait le renfort du savoir séculier. Mais le droit moderne occidental n'est plus basé sur la religion. La Grande Chaîne du Vivant s'est depuis longtemps brisée. Parce que même les valeurs les plus fondamentales d'un individu et d'une société peuvent changer, il nous faut choisir parmi les valeurs suprêmes pour déterminer ce qui est juste [49]Cependant, les juges occidentaux ayant traditionnellement la responsabilité d'aboutir à des décisions raisonnées, ils ne peuvent faire leur choix arbitrairement parmi les valeurs suprêmes comme ils le feraient pour la couleur de leur voiture. Comme nous le verrons, si la part de sensibilité est irréductible dans le choix des valeurs, la part de réflexion l'est tout autant [50]. Toutes les valeurs ne sont pas forcément égales, et le choix de l'une d'entre elles n'est pas forcément arbitraire.

Le juge Brennan croyait que « le dialogue intérieur de la raison et de la passion n'altère pas le processus judiciaire, mais est au contraire au cœur même de sa vitalité [51]. » Il fait avancer la justice en tempérant la raison par la conscience et la conscience par la raison. Mais encore faut-il qu'il y ait dialogue. Quand une conviction fondamentale atteint une certaine force, le dialogue s'arrête et le monologue commence. J'ai rencontré beaucoup de Colombe, Clavius, Bellarmine, Magini, et Cremonini de salles d'audiences en vingt ans de combat pour promouvoir les intérêts des primates non humains, des chiens, des aigles chauves, des dauphins, des chats, des chèvres, des brebis, des perroquets, des cerfs et d'autres espèces dans des tribunaux à travers tous les États-Unis. Certains n'étaient que trop pressés de balayer de leurs tribunaux ces vies, morts et souffrances insignifiantes. En 1993, un juge fédéral de Chicago entra dans une colère terrible parce que j'avais intenté un procès pour le compte d'un employé du ministère des Affaires étrangères dont les deux perroquets gris du Gabon avaient disparu d'un vol à destination de l'Afrique. Il m'assigna à comparaître devant lui dans les vingt-quatre heures pour expliquer pourquoi j'osais encombrer son tribunal avec de telles absurdités. Mécontent de la réponse que je lui fis - mon client essayait tout simplement d'obtenir justice pour le vol de membres de sa famille et espérait même les retrouver - il m'assigna à comparaître devant son tribunal dès le premier jour ouvrable suivant, et tous les autres jours, jusqu'à ce que l'affaire disparaisse de son rôle. Je vivais et exerçais ma profession à Boston.

Cultivés, intelligents et éloquents, ces juges vivent dans un monde intellectuel où Galilée et Darwin n'ont pas encore pénétré. Peut-être les textes religieux leur rappellent-ils depuis l'enfance qu'ils appartiennent à l'espèce sacrée pour laquelle l'univers a été créé. Les textes juridiques, eux aussi, affirment que les lois ont été établies pour eux. Comme Cremonini, certains ne daignent pas en apprendre davantage. Le simple fait de penser au problème leur donne le vertige. D'autres ne trouvent jamais le temps pour le faire. Comme Magini, d'autres encore regardent la science moderne mais ne la voient pas. Ils sont aveuglés par la conviction que tous les humains, et les humains seulement, possèdent quelque qualité indémontrable qui justifie leurs droits, telle une âme immatérielle. Ces juges sont sourds aux arguments qui demandent l'extension de la personnalité juridique à d'autres que les êtres humains.

Les animaux non humains sont-ils de ce fait condamnés à être pour toujours considérés comme des choses juridiques ? Pas du tout. On commence à assister à l'arrivée de juges qui ont mûri après la Seconde Guerre mondiale, quand les principes d'égalité et de liberté balayaient le monde en réponse aux horreurs du fascisme et du nazisme et que le mouvement moderne pour l'environnement se développait. Ces dix dernières années, des juges qui ont fait leurs études alors qu'existait déjà le mouvement en faveur des droits des animaux ont commencé à exercer. De nombreux juges issus de ces viviers qui se remplissent lentement auront assisté au scrupuleux travail de recherche de Jane Goodall sur la vie des chimpanzés de Gombe dans National Geographic. Ils comprendront et adhéreront aux principes de base de l'évolution darwinienne et de l'écologie. Ils rejetteront la hiérarchie de la Grande Chaîne du Vivant et ne seront pas personnellement impliqués dans l'exploitation massive des animaux ou bien pétris d'arguments religieux - ou autres - contre la reconnaissance de leur personnalité juridique. Ils seront mieux équipés pour examiner les données objectives et entendre (pas seulement écouter) les arguments en faveur de cette reconnaissance. Ils commenceront à secouer la cage.

Des barrières absolues

La part de « réflexion » qui compose les valeurs n'est pas moins importante que les convictions. Des critiques de Thomas Kuhn (celui des paradigmes) ont avancé qu'il était allé trop loin dans le sens de l'incommensurabilité en décrivant le processus de changement dans les sciences [52]. Et malgré les assertions d'un petit nombre d'analphabètes sur le plan scientifique selon lesquels même la constante mathématique pi et la célèbre équation d'Einstein E=mc2 sont simplement les produits d'une culture précise et non une description du monde physique, la vérité scientifique n'est pas seulement une question de goût ou de mode [53]. Certaines théories peuvent être mises à l'épreuve de la réalité et ainsi confirmées ou infirmées. Mais Kuhn s'était attelé à une vérité concernant les convictions des humains. Il y a vingt ans, le physicien Steven Weinberg expliqua pourquoi il défendait une certaine théorie :

[Quand j'avançai que] n'importe quelle autre façon d'interpréter les données aurait été inesthétique et artificielle, certains physiciens répondirent que la science n'a rien à voir avec les jugements esthétiques, une réponse qui aurait amusé Kuhn. Comme il le dit, « le jugement qui conduit des scientifiques à rejeter les théories acceptées précédemment est toujours basé sur davantage qu'une comparaison de cette théorie avec le monde. » N'importe quelle série de données peut être intégrée par beaucoup de théories différentes. Pour choisir entre celles-ci, nous devons juger lesquelles possèdent la sorte d'élégance, de cohérence et d'universalité qui les rend dignes d'êtres prises au sérieux [54].

Bien sûr, plus une théorie menace des convictions fondamentales, plus la bataille pour son acceptation sera sanglante. On peut discuter d'arrache-pied pendant des heures du goût de la bière de Holmes sans que les amateurs ou les détracteurs de la bière soient capables d'échanger un seul argument de principe. Mais les jugements scientifiques sont davantage basés sur des faits objectifs que les goûts en matière de bière.

Il n'existe pas de proportion magique réflexion/conviction qui se solderait toujours par un « jugement raisonné ». Juger n'est ni comme suivre une recette de gâteau ni comme réaliser une expérience de chimie. Mais de la même façon que des convictions fondamentales inflexibles peuvent produire un juge qui prend des décisions arbitraires, une réflexion excessive peut donner des juges qui méprisent l'imagination, l'instinct et l'intuition. Parce qu'ils ne conçoivent « aucune place pour la compassion dans le froid calcul du jugement », ils émettent des opinions glaciales qui nient ou méprisent les réalités des vies qu'elles affectent [55]. Incapables de se mettre à la place de l'autre, « de voir une chose à la place d'une autre, de voir une chose en une autre », inconscients de leurs préjugés, ils ne peuvent en aucun cas rendre justice, mais seulement rendre un jugement [56]. Pire, leur dédain peut les conduire à sous-estimer ceux qu'ils pensent moins rationnels qu'eux-mêmes : les femmes, les enfants, les étrangers et les animaux [57].

Il y a trois siècles, les avocats des valeurs libérales et démocratiques alors en train d'émerger ont commencé à affirmer que la violation des intérêts humains fondamentaux était un mal, et qu'il fallait les protéger par une solide barrière de droits quasi-absolus. En 1864, entre la Proclamation d'Émancipation par laquelle il libéra les esclaves des États sudistes rebelles et la signature de l'amendement constitutionnel abolissant l'esclavage dans la totalité des États-Unis, Abraham Lincoln écrivit « si l'esclavage n'est pas un mal, alors rien n'est un mal [58]. » En mai 1999, l'écrivain Susan Sontag examina l'objection soutenant que le bombardement du Kosovo par l'OTAN était une ingérence illégale dans les affaires d'un État souverain. « Imaginez, écrivit-elle, que l'Allemagne nazie n'ait pas eu d'ambitions expansionnistes mais qu'elle ait simplement eu pour politique d'exterminer tous les Juifs allemands. Pensons-nous qu'un gouvernement a le droit de faire tout ce qu'il veut sur son territoire ? Il est possible que les gouvernements européens aient répondu par l'affirmative il y a soixante ans [59]. » Mais plus maintenant. Ces valeurs démocratiques et libérales ont été consolidées, et leur acceptation s'est accélérée à la suite de la Seconde Guerre mondiale, de sorte qu'il existe maintenant un accord quasi-universel sur le fait que les droits fondamentaux existent de façon objective dans un certain sens [60]. Que la peine sans procès, la torture, le meurtre, « même légalisés par le souverain », écrivit Isaiah Berlin, « provoquent l'horreur même en cette période (...), cela vient de la reconnaissance de la validité morale, indépendante des lois, de barrières absolues au fait qu'un homme impose sa volonté à un autre [61]. » L'expression « droits de dignité » est plus apte à rendre compte de ces droits fondamentaux que « droits de l'homme », le terme le plus utilisé depuis la Seconde Guerre mondiale. Car « droits de dignité » souligne que les droits humains fondamentaux ne viennent pas de la simple appartenance à l'espèce Homo sapiens mais de la dignité associée à certaines qualités censées être partagées par les êtres humains en tout lieu.

La composante de réflexion du droit occidental a conduit à un large consensus sur les valeurs et les principes fondamentaux. La liberté et l'égalité sont préférées à l'injustice, à la discrimination abusive et aux limitations arbitraires des libertés. Les droits de dignité des animaux non humains devraient découler de ces mêmes principes et valeurs et dans les mêmes conditions. Il devrait en être ainsi non seulement parce que c'est, de fait, la base la plus sûre pour garantir des droits de dignité aux animaux non humains, non seulement parce que, de fait, à la fois la raison et la justice l'exigent, mais parce que les refus arbitraires d'étendre les droits de dignité à ceux qui en auraient bénéficié, si seulement ils avaient été humains, est source d'une terrible injustice pour des êtres dignes de justice. Leur irrationalité, leur arbitraire et leur iniquité exécrables sapent les fondements mêmes de nos propres droits fondamentaux.

La liberté

Aujourd'hui, la liberté « est sans conteste regardée comme la valeur suprême du monde occidental [62]. » Il n'en a pas toujours été ainsi. Un observateur des libertés a avancé que « l'institution particulière » n'est pas l'esclavage, mais bien la liberté, car pendant des centaines d'années, elle n'a été révérée que par les Occidentaux et ceux qui étaient influencés par les valeurs occidentales, et même alors, seulement à partir de la montée en puissance des Grecs au sixième siècle avant J.C [63]. Mais une fois apparue, la liberté s'est emparée de l'esprit des Occidentaux [64]. Aujourd'hui, l'accent est mis par des droits de liberté sur l'importance de certains intérêts humains fondamentaux [65]. Parmi eux, le premier est le droit à l'intégrité physique, car nul ne peut endurer une vie faite de coups, de torture et d'esclavage, et en même temps s'épanouir. C'est pourquoi la Cour suprême du Massachusetts a récemment qualifié « le droit de vivre en toute sécurité physique » de « droit de l'homme le plus fondamental » [66].

Parmi les partisans d'Antigone contre Créon, de Lincoln contre la Confédération, des juges de Francfort ou des juges juifs contre les médecins tueurs d'Hadamar et Adolf Eichmann, bien peu estiment que l'opposition à l'esclavage ou au génocide provient de quelque absolu indéfinissable et se contentent de cela. Il doit bien y avoir un étalon utilisable par un juge pour mesurer le bien et le mal, la justice et l'injustice. En fait, il pourrait même y en avoir deux.

À Nuremberg, Francfort et Jérusalem, les juges ont emprunté à Cicéron sa mesure constante. Les valeurs qu'ils utilisèrent étaient intrinsèques, immuables et évidentes. Elles pouvaient être qualifiées de lois de la nature autant que la vitesse de la lumière ou la loi de la gravité. Elles existent en dehors de toute expérience humaine. L'exemple le plus célèbre repose dans un coffre-fort à l'épreuve des bombes à Washington. La Déclaration d'Indépendance affirme : « Nous tenons ces vérités pour des évidences : tous les hommes naissent égaux et sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté, et la recherche du Bonheur. » Les humains peuvent s'acharner à modifier ou supprimer ces principes, comme l'ont fait les nazis quand ils lancèrent la Solution finale et commencèrent à exécuter les infirmes et les incurables. Mais toutes les tentatives sont vouées à l'échec.

Il existe un deuxième étalon de référence, que nous créons nous-mêmes, celui-là. Ses critères ne sont pas immuables mais changent à mesure que de nouveaux faits sont découverts et que les valeurs de la société changent. La raison joue un rôle important dans toute décision prise en fonction de ces critères, et toute décision doit in fine être cohérente avec les faits tels que nous avons pu les déterminer.

Ces critères raisonnés sont utilisés à travers le monde pour promouvoir les droits de dignité. Une batterie de traités, d'accords, de déclarations et de résolutions internationales postérieurs à la Seconde Guerre mondiale affirment la « dignité intrinsèque », la « liberté fondamentale » et les « droits inaliénables » des êtres humains. La liberté humaine n'est pas un don de l'État ; elle émane de la nature et de la société humaine. L'intégrité corporelle est toujours préférée à la torture et au génocide. La liberté d'aller et venir est toujours préférée à l'esclavage. On ne peut déroger à ces droits de dignité. Leur violation ne peut jamais être excusée. En voici quelques exemples.

Le Préambule de la Convention contre la torture et autres punitions et traitements cruels, inhumains ou dégradants stipule que « la reconnaissance des droits (...) inaliénables de tous les membres de la famille humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » et affirme que « ces droits procèdent de la dignité inhérente à la personne humaine » [67]. La Cour internationale de Justice a déclaré que l'objet de la Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide est « d'une part de sauvegarder l'existence même de certains groupes humains, et d'autre part de confirmer et d'entériner les principes moraux les plus fondamentaux [68]. » La Déclaration de Stockholm sur l'Environnement humain reconnaît pour les humains « le droit fondamental à la liberté » [69]. Les lois internationales les plus puissantes sont jus cogens, l'équivalent latin de « lois auxquelles on ne peut déroger ». Leurs racines plongeant profondément dans le terreau d'un droit naturel qu'Antigone adopterait instinctivement, ces traités interdisent la torture, l'esclavage et le génocide. Ils fonctionnent comme une constitution internationale non écrite, une sorte de « droit naturel des nations [70]. » Leurs principes ne peuvent jamais être abolis, annulés ou écartés [71].

Ce n'est pas seulement le droit international, mais aussi le droit national de presque tous les pays qui reconnaît les droits de dignité. La toute nouvelle Constitution Sud-Africaine spécifie que « chacun a une dignité intrinsèque et a droit au respect et à la protection de sa dignité [72]. » La Constitution de la Bolivie assure à son peuple que « la dignité et la liberté de la personne sont inviolables » [73]. La Constitution japonaise garantit « les droits humains fondamentaux », qui sont « éternels et inviolables » [74]. Les « droits de l'homme » et la « dignité de l'homme » sont tous deux si « inviolables » selon la Loi Fondamentale allemande qu'ils ne peuvent être modifiés, même par amendement constitutionnel, ce que Cicéron aurait approuvé [75].

Des droits de common law tels que le droit à la sécurité physique, à la protection de la vie privée et à la garantie de procédures juridiques équitables sont ancrés dans les notions de justice, d'équité et de bon sens inscrites dans le droit naturel [76]. Aucun gouvernement américain n'est autorisé à violer les notions fondamentales de liberté, de justice, de moralité ou d'équité ou à agir d'une façon qui puisse choquer la conscience de ses juges. Le juge à la Cour suprême Stevens a écrit que « la loi (...) n'est pas la source de la liberté, et certainement pas la seule source. Il m'a toujours paru évident que tous les hommes sont dotés de liberté par leur Créateur, un droit inaliénable capital. C'est cette liberté fondamentale que protège [la Constitution] [77]. » Pour la plupart inspirées de la Déclaration d'Indépendance, chacune des constitutions des cinquante États déclare que chaque personne possède certains droits fondamentaux, souvent explicitement qualifiés de naturels [78]. Même s'ils ont souvent été attaqués par les héritiers de Créon, ces principes fondamentaux se sont révélés si solides que les tribunaux et les parlements nationaux et internationaux les déploient souvent pour protéger les êtres humains contre tout risque de violation [79]. Nous serions d'ailleurs choqués et indignés si ce n'était pas le cas.

L'égalité

Aristote a enseigné à Alexandre le Grand ce que Platon lui avait enseigné : l'égalité signifie que des individus semblables doivent être traités de manière semblable [80]. C'est encore le cas aujourd'hui [81]. Contrairement au droit à la liberté, déterminé en examinant de façon indépendante la nature de l'être, le droit à l'égalité exige que les situations et les êtres soient comparés. Si les semblables sont traités différemment et que les dissemblables sont traités de la même façon sans raison valable, l'égalité est violée. Mais les semblables et les dissemblables ne sont pas aussi faciles à déterminer qu'on pourrait le penser à première vue.

Dans un récent article dans Nature, des linguistes ont montré que la façon dont les humains étiquettent une perception aussi basique et déterminée biologiquement que celle de la couleur affecte la façon dont nous percevons les différentes couleurs ( « semblable » ou « dissemblable ») [82]. Les anglophones distinguent systématiquement le vert du bleu, tandis que les Berinmos, tribu de chasseurs-cueilleurs de Papouasie-Nouvelle Guinée, ne le font pas. Le jaune des anglophones est séparé en « wor » et « nol » par les Berinmos, et les anglophones ont la même difficulté à classer leur jaune indifférencié en « wor » et « nol » que les Berinmos ont à classer les bleus et les verts. Un chercheur a conclu que « les catégories affectent la façon dont nous percevons le monde ».

Les scientifiques de l'Angleterre victorienne ont inscrit leurs convictions racistes et sexistes dans leur taxinomie biologique [83]. Au XIXe siècle, le Docteur américain Samuel Morton recommandait de classer les humains en espèces différentes et agrémentait sa rhétorique raciste avec des mesure crâniennes prétendument objectives, qui, disait-il, prouvaient que les Caucasiens avaient des crânes bien plus grands que les noirs ou les Mongoloïdes. Mais quand Stephen Jay Gould mesura à nouveau ces mêmes crânes presque cent cinquante ans plus tard, il découvrit que Morton avait imaginé ces disparités. Morton n'était pas un falsificateur, souligna Gould ; ses erreurs avaient été faites inconsciemment [84].

Au début du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville, ce fin observateur de l'univers américain, écrivit que « les communautés démocratiques ont un goût naturel pour la liberté (...) Mais en ce qui concerne l'égalité, leur passion est ardente, insatiable, incessante, invincible ; libres, ils demandent l'égalité ; et s'ils ne peuvent l'obtenir, ils demandent encore l'égalité dans l'esclavage [85]. » Il exagérait, bien sûr, mais à peine, car alors même qu'il écrivait, deux millions d'Américains vivaient dans l'esclavage, et l'un des agitateurs esclavagistes les plus fougueux, John C. Calhoun, était vice-président des États-Unis et s'apprêtait à grimper encore plus haut. Mais l'égalité est profondément enracinée dans l'imagination, la culture et le droit occidentaux. Elle a joué un grand rôle dans le renversement de la hiérarchie naturelle de la Grande Chaîne du Vivant, et a été un élément clé de la Révolution américaine ( « nous considérons comme évident que tous les hommes naissent égaux ») et la Révolution française ( « Égalité, Liberté, Fraternité »).

L'égalité est violée lorsque certains profitent injustement de privilèges que leurs semblables n'ont pas, ou échappent à des charges que leurs semblables doivent supporter [86]. Mais la promesse d'égalité entre toujours en conflit avec la réalité : car comment savoir où tracer les limites ? Prenons deux individus ou deux situations au hasard : ils sont infiniment différents et infiniment semblables. Par nature, chacun tend soit à « globaliser »,àfaire ressortir les ressemblances, soit à « compartimenter », à faire ressortir les différences. Les convictions des juges peuvent fonctionner comme des « tamisà différenceset ressemblances » [87]. De la même façon, les biologistes globalisateurs relèvent souvent les ressemblances entre les êtres et peuvent grouper ceux qui ne possèdent qu'un petit nombre de ressemblances dans la même espèce, même si de nombreuses différences les séparent. Les physiciens « globalisateurs » affirment que nous comprenons les lois de la nature à la façon dont les aveugles comprennent le monde. Ils croient qu'un jour toutes les lois physiques qui semblent pour l'instant séparées seront englobées dans une unique loi, « belle » et universelle.

Les « compartimenteurs » peuvent au contraire s'emparer de minuscules différences pour établir la dissimilitude qui justifierait des catégories séparées. Les ingénieurs et les hommes de loi sont des compartimenteurs notoires. Le monde tend à leur apparaître en désordre et criblé d'exceptions. Louis Agassiz, Professeur de biologie à Harvard au XIXe siècle, était un compartimenteur de premier plan. Non seulement il affirmait que chaque race humaine était une espèce, mais il détermina trois genres séparés (le genre est le niveau taxinomique au-dessus de l'espèce) de poissons fossiles à partir de ce qu'on identifia plus tard comme les dents d'un unique poisson fossile [88]. Comme si le célèbre paléontologue Louis Leakey était tombé sur quelques dents appartenant à un unique Homo erectus tandis qu'il fouillait le site des gorges d'Olduvaï et avait annoncé qu'il avait trouvé les molaires non seulement d'un Homo erectus mais aussi d'un Australopithecus et d'un chimpanzé par dessus le marché.

Ceux qui se battent pour étendre la personnalité juridique aux animaux non humains peuvent se trouver accusés de « globalisation abusive », c'est-à-dire accusés de mettre l'accent, pour déterminer la personnalité juridique, sur des critères trop généraux et de penser à tort qu'un ou plusieurs éléments essentiels sont négligeables. À chaque fois que des réformateurs ont fait campagne pour transformer des « choses juridiques » telles que les esclaves, les femmes, les enfants et les fœtus en « personnes juridiques », leurs idées ont, si l'on en croit le Professeur Christopher Stone, « forcément semblé bizarres, effrayantes ou ridicules. Ceci vient en partie du fait que tant que la chose ne jouit pas de ses droits, nous ne pouvons pas la voir autrement qu'une chose destinée à notre usage, l'usage des titulaires de droits à ce moment-là [89]. » On va certainement m'accuser de « globalisation abusive » au motif que je revendique la personnalité juridique pour les chimpanzés et les bonobos et que je ne tiens pas compte de différences prétendument pertinentes entre les animaux humains et non humains. Ce livre constitue une longue plaidoirie pour rejeter cette accusation.

Les « compartimenteurs » juridiques veulent invariablement limiter la personnalité juridique à ceux qui l'ont déjà. Mais leurs arguments sont trop souvent basés sur des critères trop particuliers, et ils finissent par croire qu'un ou plusieurs des éléments non-essentiels de la personnalité juridique sont essentiels [90]. Dans le chapitre 11, je défendrai la thèse que le fait d'être humain est un critère trop particulier pour l'attribution de droits et n'est pas un élément essentiel de la personnalité juridique. Tout au long de ce livre, je taxe de « compartimenteurs abusifs » ceux qui refusent d'étendre la personnalité juridique, sans raison valable, aux chimpanzés et aux bonobos.

Tout ceci pour dire que l'inégalité peut être juste ou injuste. L'inégalité est juste quand elle est basée sur une différence pertinente et objectivement vérifiable [91]. Si une catégorie d'individus représente un moindre risque ou mérite plus d'avantages, alors la discrimination en faveur de cette catégorie est probablement rationnelle et non-arbitraire [92]. Si deux catégories représentent le même risque ou méritent les mêmes avantages, alors la discrimination en faveur d'une catégorie au détriment de l'autre est probablement irrationnelle et arbitraire [93]. Et la discrimination en faveur d'une catégorie qui représente un plus grand risque ou mérite un avantage moindre qu'une autre catégorie n'est pas seulement arbitraire ou irrationnelle : elle est perverse [94]. Imaginez que deux élèves de terminale finissant major ex aequo de leur promotion, et un troisième, passant « à l'ancienneté », se portent candidats à l'entrée à l'Université du Wisconsin. Pour ne pas compliquer les choses, imaginons que ce sont des triplés identiques. Si l'université accepte les deux majors et rejette l'élève qui est passé à l'ancienneté, elle agit de façon rationnelle et non-arbitraire. Si l'université accepte l'un des majors, rejette l'autre mais accepte aussi l'élève passé à l'ancienneté, elle agit de façon irrationnelle et arbitraire. Si l'université accepte seulement l'élève passé à l'ancienneté et rejette les deux majors, elle agit de façon non seulement arbitraire et irrationnelle mais aussi perverse.

Un traitement inégal ne doit pas être simplement rationnel : il doit être acceptable moralement [95]. Même les classifications rationnelles, surtout quand elles sont basées sur des caractéristiques immuables ou le statut social, peuvent enfreindre des droits fondamentaux ou provenir de préjugés et ne pas réussir à protéger ceux qui sont sans défense ou méprisés [96]. La Cour suprême des États-Unis rejette systématiquement les textes qui violent le principe constitutionnel d'égalité précisément pour cette raison. En 1886, elle a annulé une ordonnance « apparemment juste et impartiale » qui trouvait sa source dans une « hostilité » envers les Chinois [97]. Un texte de loi de l'État de Floride qui punissait la cohabitation habituelle d'hommes et de femmes de races différentes était clairement rationnel à la lumière de son objectif, qui était de prévenir les relations sexuelles inter-raciales. Mais la Cour le supprima en 1964 au motif que cet objectif était odieux [98]. En 1996, la Cour annula un amendement constitutionnel du Colorado qui empêchait le gouvernement de cet État de promulguer et d'appliquer des lois accordant des avantages aux homosexuels au motif que cet amendement « identifiait des personnes par une caractéristique unique et leur refusait protection à tous les niveaux [99]. » À mesure que les normes éthiques évoluent, ce qui apparaissait auparavant comme raisonnable peut ne plus sembler tel. À une époque, les juges, imprégnés des idées du XIXe siècle, approuvaient des systèmes éducatifs basés sur la discrimination raciale parce qu'à leurs yeux cela n'était pas déraisonnable [100]. Mais dans les années 1950, ces systèmes basés sur la doctrine « séparés mais égaux » étaient largement considérés comme inégalitaires par nature.

Non seulement la constitution américaine, mais aussi la common law ont critiqué « l'inégalité injuste » car « manifestement contraire aux principes premiers des libertés civiles et de la justice naturelle » ; il faut que les classifications soient raisonnables [101]. Les juges affirment que les classifications « ne doivent pas sans nécessité produire des résultats incongrus et indéfendables » et ne doivent généralement pas entraîner « un dommage irréparable » [102]. C'est pourquoi la Cour suprême du Wisconsin a considéré recevables des demandes de dommages-intérêts pour blessures subies par un fœtus viable. Une décision contraire aurait été arbitraire [103]. Beaucoup de juges ont interprété les lois des États autorisant les actions civiles pour homicide comme permettant aux représentants des fœtus viables et non-viables tués in utero de porter plainte en tant que « personnes », parce que le contraire aurait été arbitraire, inéquitable, déraisonnable et injuste [104]. Alan Gewirth, professeur à Yale Law School, a proposé un important principe de proportionnalité qui attribue des droits proportionnellement à la possession de qualités présentes à un degré moindre que la normale. Voici comment cela fonctionne : quiconque possède une qualité qui justifie un droit devrait posséder ce droit. Cependant, un individu peut n'approcher de la possession de cette qualité que jusqu'à un certain degré. Cet individu pourrait alors posséder une partie de ce droit [105]. Comme le dit Gewirth, « Bien que les enfants, les déficients mentaux et les animaux n'aient pas de droits [fondamentaux] de façon aussi complète que les humains adultes et normaux, les membres de ces groupes devraient approcher de la possession de ces droits [fondamentaux] à des degrés variés, en fonction du degré auquel il possèdent les capacités nécessaires [106]. »

Carl Wellman, professeur de Washington University, a fait franchir un grand pas en avant à tout ceci en posant comme postulat que les droits peuvent varier le long de trois axes selon que l'individu approche plus ou moins la possession de ces qualités nécessaires [107]. D'abord, on peut posséder moins de droits. Un humain, adulte ou enfant, gravement limité mentalement peut ne pas être capable de participer à la vie politique mais devrait quand même avoir le droit de se déplacer librement. Ensuite, on peut posséder des droits plus restreints. Un humain, adulte ou enfant, gravement limité mentalement peut ne pas avoir le droit de se déplacer librement dans le monde, mais devrait avoir le droit de se déplacer librement à l'intérieur de sa maison. Troisièmement, on peut ne posséder qu'une partie des éléments d'un droit complexe. Un humain profondément attardé peut posséder le droit (droit-exigence) à l'intégrité physique, mais ne pas posséder le droit (droit-capacité) d'y renoncer et être de ce fait incapable de consentir à une technique médicale risquée ou à l'arrêt d'un traitement médical vital [108].

Ceux qui revendiquent la reconnaissance de la personnalité juridique d'animaux non humains tels que les chimpanzés et les bonobos et ceux qui refusent ces revendications sont les héritiers des disputes entre Antigone et Créon, Lincoln et la Confédération, Hitler et les Scholl, les médecins tueurs d'Hadamar et leur juge allemand, Adolf Eichmann et son juge juif. Il n'y a aucune difficulté à savoir où se situe dans ce débat Frederick King, longtemps directeur du Centre Régional de Recherches sur les Primates de Yerkes (où Jerom a souffert et est mort) et détracteur parmi les plus virulents des mouvements pour les droits des animaux dans les années 1980 et 1990 : « Je ne crois pas que les droits tombent du ciel comme la manne. Les droits ne sont pas magiques ou absolus. Je sais que notre constitution parle de droits inaliénables, mais je n'en ai vu aucune preuve. Les droits sont donnés par un groupe à un autre [109]. » Dans le chapitre 11, je montrerai en quoi la liberté et l'égalité impliquent que les chimpanzés et les bonobos aient des droits dans le cadre de la common law. Mais il nous faut d'abord comprendre comment la common law fonctionne et ce que sont les chimpanzés et les bonobos. Ce sont les objectifs des trois prochains chapitres.

[1] Sophocle, Antigone, traduction par M. Bellaguet, Hachette, Paris, 1879.

[2] Marshall L. DeRosa, The Confederate Constitution of 1986 : An Inquiry Into American Constitutionalism, University of Missouri Press, 1991, p. 39-40 et 63-64.

[3] Robert Jay Lifton, The Nazi Doctors : Medical Killing and the Psychology of Genocide, BasicBooks, Inc., 1986, p. 51-75 ; A. Mitscherlich and F. Mielke, The Death Doctors, trad. James Cleugh), Elek Books, 1962, p.233 à 305.

[4] Theodor Maunz, cité dans Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem, Penguin Books, 1964, p.24.

[5] Nécrologie de Inge Aicher-Scholl dans le New York Times du 6 septembre 1998, p. 40, citant Albert van Schirdung.

[6] A. Mitscherlich and F. Mielke, voir supra note 3, p. 288-9.

[7] Michael Ignatieff, "Human rights : the Midlife Crisis" dans The New York Review of Books du 20 mai 1999, p. 58-59.

[8] Statuts du Tribunal international militaire, Londres, 8 août 1945, art. 6.

[9] Discours inaugural du Juge Robert H. Jackson, 21 nov. 1945, dans Trial of the Major War Criminals Before the International Military Tribunal, vol.2, 1947, p.155.

[10] « United States v. Ohlendorf » (cas n°9), IV Trials of War Criminals Before the Nuernberg Military Tribunals Under Control Council Law No. 10, vol.4, 1950, p.497.

[11] Hannah Arendt, voir supra note 4, p. 135 (souligné par l'auteur).

[12] L'expression droit naturel se réfère à des principes de justice et d'éthique universels, ou quasi-universels, abstraits, immuables et objectifs que l'on peut déduire au moyen de la raison d'une source extérieure telle que la nature, Randy E. Barnett, "Getting Normative : The Role of Natural Rights in Constitutional Adjudication", Constitutional Commentary n°12, 1995, p.93 et 107-8.L'expression "droits naturels" se réfère aux droits protégés en justice qui préexistent à la mise en place d'une forme de gouvernement et qui sont essentiels pour protéger les intérêts vitaux des membres d'une société des atteintes de tiers ou de l'Etat, op. cit., p. 106-9. La "justice naturelle" est "celle qui se base sur l'équité, l'honnêteté et le droit", "Kempsey v. Maginnis, Mich. N.R vol. 2 (Circ.Ct), 1871, p. 49 et 55.

[13] Cicéron, De Re Publica 3.22.33, trad. Clinton Walker Keyes, Loeb Classical Library, 1928.

[14] Cicéron, De Legibus, 2.5, trad. Clinton Walker Keyes, Loeb Classical Library, 1928.

[15] John Mack Farragher, Daniel Boone : The Life and Legend of an American Pioneer, Henry Holt, 1992, p. 332, citant James Fenimore Cooper, The Deerslayer, Lightyear Press, 1976.

[16] Idem p.29 ; Janice A. Doyle et Gale M. Sinatra, voir supra note 18, p.252 et 257.

[17] Thomas S. Kuhn, voir supra note 31, p.4, 66-91, 110, 148-50, 185-6.

[18] Idem p.150 (souligné par moi). Cf. Risieri Frondizi, What is Value ?, seconde édition, 1971, p.159-65 ; Thomas S. Kuhn, « Second Thoughts on Paradigms », dans The Essential Tension, University of Chicago Press, 1977, p.313-8.

[19] Thomas S. Kuhn, voir supra note 28, p.226.

[20] Clark A. Chinn et William F. Brewer, voir supra note 18, p.10 ; Harold J. Berman, Law and Revolution : The Formation of the Western Legal Tradition, Harvard University Press, 1983, p.22.

[21] Thomas S. Kuhn, voir supra note 28, p.150-1, citant Max Planck, Scientific Autobiography and Other Papers, trad. F. Gaynor, Greenwood Publishing Group, 1949, p.295-6.

[22] « From Ants to Ethics : A Biologist Dreams About a Unity of Knowledge », N.Y. Times du 12 mai 1998, p.C6 (le Professeur E.O. Wilson citant l'économiste Paul Samuelson).

[23] Fred Kaplan, « Milosevic's yield may disprove doubts on air war », The Boston Sunday Globe du 6 juin 1999, p.A 29.

[24] Charles Larmore, « Pluralism and Reasonable Disagreement », Soc. Phil. & Policy n°11, 1994, p.61 et 70. Voir Cass Sunstein, « Incommensurability and Valuation in Law », Mich. L. Rev. n°92, 1994, p.779, 789, 796 et note 58 ; Richard Warner, « Incommensurability as a Jurisprudential Puzzle », Chi-Kent L. Rev. n°68, 1992, p.147 et 157-67.

[25] Cass Sunstein, voir supra note 39, p.789 et 839.

[26] Albert Einstein, « On Freedom », dans Out of My Later Years, Littlefield, Adam, and Co., 1967, p.18.

[27] Oliver Wendell Holmes, Jr., « Natural law », Harv. L. Rev. n°33 (1918-19), p.40 et 41. Cf. Cass Sunstein, voir supra note 39, p.810-1 ; Richard Warner, voir supra note 39, p.168.

[28] William Harper, « Memoir on Slavery », repris dans Drew Gilpin Faust, The Ideology of Slavery, Louisiana State University Press, 1981, p.89.

[29] Id., p.98.

[30] Thomas S. Kuhn, voir supra note 28, p.7.

[31] Norwood R. Hanson, Patterns of Discovery : An Inquiry into the Conceptual Foundations of Science, Cambridge University Press, 1958, p.4-30.

[32] Barbara Tuchman, « Why Policy-Makers Don't Listen », in Practicing History : Selected Essays, Ballantine Books, 1981, p.287 ; Stephen R.L. Clark, The Moral Status of Animals, Oxford University Press, 1984, p.7.

[33] Plus généralement sur ce sujet voir Charles R. Lawrence III, « The Id, the Ego, and Equal Protection : Reckoning with Unconscious Racism », Stan. L. Rev. n°39, 1987, p.317.

[34] Program Evaluation, colloque des juges de cour d'appel de l'État de Washington, printemps 1999 ; lettre du juge Faith Ireland au juge Barbara S. Levenson du 8 avril 1999.

[35] Lettre du juge Faith Ireland à Steven M. Wise du 21 juin 1999 ; lettre de Steven M. Wise au juge Faith Ireland du 1er mai 1999.

[36] Charte Mondiale de la Nature, Résolution de l'AG des Nations Unies 37/7, Annexe, 28 octobre 1982, reprise dans Harold W. Woods, Jr., « The United Nations World Charter for Nature : The Developing Nations' Initiative to Establish Protections for the Environment », Ecology L. Q. n°12, 1985, p.977 et 992 (souligné par l'auteur).

[37] Anthony D'Amato and Sudhir K. Chopra, « Whales : Their Emerging Right to Life », Amer. J. Int'I L. n°85, 1991, p.23 et 50.

[38] Note additionnelle à la réponse du Ministre de l'Intérieur au « Animal Procedures Committee », rapport intermédiaire sur l'examen du fonctionnement de la loi sur les animaux de 1986 [Animals (Scientific Procedures) Act], p.1, §11 (6 novembre 1997).

[39] Partie 6, « Use of Animals in Research, Testing, and Teaching », sections 76A et 76B.

[40] U.S. Code, titre 16, section 1531 et suiv., 1988.

[41] « Tennessee Valley Authority v. Hill », United States Reports, vol. 437, 1978, p.153, 175 et 188.

[42] « Compassion in Dying v. State of Washington », F.3d volume 79 (9th Circuit Court), 1996, p.790 et 817, rev. sub nom. « Washington v. Glucksberg », United States Reports vol. 117, 1997, p.2258.

[43] James Rachels, Created from Animals : The Moral Implications of Darwinism, Oxford University Press, 1990, p.89-90, citant Emmanuel Kant, Lectures on Ethics, trad. Louis Infield, Hackett Publishing Co., 1963, p.151-2.

*Note de traduction : voir « L'intraduisibilité du terme common law », en http://www.pajlo.org/francais/produits/juricourriel/juricourriel-003.html. « Il est à noter que les équivalents "droit commun", "droit coutumier" et "droit jurisprudentiel" n'ont pas été retenus ».

[44] « Quill v. Vacco », F. 3d vol. 80 (2nd Circuit Court), p.716 et 724, rev. sub nom. « Vacco v. Quill », S. Ct. vol. 117, 1997, p.2293 ; « Compassion in Dying », voir supra note 57, F 3d vol. 79, p.808, rev. sub nom. « Washington v. Glucksberg », S.Ct. vol. 117, 1997, p.2258.

[45] « Compassion in Dying », voir supra note 57, F 3d vol. 79, p.809.

[46] « Quill », voir supra note 59, p.724 ; « Compassion in Dying », voir supra note 57, F 3d vol. 79, p.809-810.

[47] « Cruzan v. Director, Missouri Department of Health », United States Reports vol. 497, 1990, p.261 et 280 ; « Vacco », voir supra note 59, United States Reports vol. 117, p.2202 ; « Glucksberg », voir supra note 59.

[48] Jacob J. Finkelstein, « The Goring Ox : Some Historical Perspectives on Deodands, Forfeitures, Wrongful Death, and Western Notions of Sovereignty », Temple L.Q. n°46, 1973, p.169 et 282-283. Cf. Elizabeth Anderson, Value in Ethics and Economics, 1993, p.68.

[49] Isaiah Berlin, voir supra note 16, p.171. Voir par exemple Michael Walzer, « Are There Limits to Liberalism ? », N.Y. Rev. of Books, 19 octobre 1995, p.28.

[50] Risieri Frondizi, voir supra note 33, p.160.

[51] William J. Brennan, Jr., voir supra note 20, p.951.

[52] Voir par exemple Steven Weinberg, « The Revolution That Didn't Happen », New York Review of Books vol.XLV (8 octobre 1998), p.48 ; James W. McAllister, Beauty and Revolution in Science, Cornell University Press, 1996, p.127-39 ; Lewis Wolpert, The Unnatural Nature of Science, Harvard University Press, 1992, p.93-4, 103, 109 et 117.

[53] Voir en général Alan Sokal and Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997.

[54] Steven Weinberg, voir supra note 67, p.51.

[55] William J. Brennan, Jr., « A Tribute to justice Harry A. Blackmun », Harv. L. Rev. n°108, 1994. Cf. Martha C. Nussbaum, Poetic justice, Beacon Press, 1995, p.67.

[56] Martha C. Nussbaum, voir supra note 70, p.38 et 68.

[57] Martha C. Nussbaum, « Emotions as judgments of Value », Yale J. Crit. n°3, 1992, p.201 et 203.

[58] Martha C. Nussbaum, « Emotions as judgments of Value », Yale J. Crit. n°3, 1992, p.201 et 203.

[59] Susan Sontag, « Why are we in Kosovo », The New York Times Magazine, 2 mai 1999, p.52 et 53.

[60] Isaiah Berlin, The Crooked Timber of Humanity, John Murray, Ltd., 1991, p.18 ; Kenneth C. Randall, Federal Courts and the International Human Rights Paradigm, Duke University Press, 1990, p.97-210 ; Isaiah Berlin, voir supra note 16, p.126 et 171 ; Michael Walzer, voir supra note 64, p.30-1 ; Claude L. Galipeau, Isaiah Berlin's Liberalism, Oxford University Press, 1994, p.65 ; Colin Wringe, Children's Rights, Routledge and Keegan Paul, 1981, p.55.

[61] Isaiah Berlin, voir supra note 16, p.166.

[62] Orlando Patterson, Freedom : Freedom in the Making of Western Culture, Basic Books, 1991, p.ix. Voir Joel Feinberg, Rights, Justice and the Bounds of Liberty, 1980, p.268 et 285.

[63] Orlando Patterson, voir supra note 77, p.ix-63.

[64] Id., p.xii.

[65] Les droits de liberté diffèrent des « droits-liberté », qui sont une sorte de droit hohfeldien, discutée au chapitre 5.

[66] Custody of Vaughan, N.E. 2d vol.664, Mass., 1996, p.434 et 437.

[67] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, Résolution de l'AG des Nations Unies 39/46, supp., n°51, p.197.

[68] Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, recueil de la Cour internationale de justice du 28 mai 1951, p.15, 23 (italiques ajoutés).

[69] Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement humain, 1974, principe 1.

[70] Keith Highet, « The Enigma of the Lex Mercatoria », Tul. L. Rev. n°63, 1989, p.613 et 626.

[71] Article 53 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités, adoptée le 22 mai 1969 ; affaire des « Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) », Cour internationale de justice, 27 juin 1986, p.14 et 100, jugement suspendu par accord, Cour internationale de justice 1991-2, Sette-Camara ; « Siderman de Blake c. République d'Argentine », F. 2d vol.965 (9th Circuit Court), p.699 et 714 ; Ian Brownlie, Principles of Public International Law, Oxford University Press, 4e édition, 1990, p.513 ; Theodor Meron, « On a Hierarchy of International Human Rights », Amer. J. of Intern. Law, n°80, 1986, p.1 et 15-6 ; Louis B. Sohn, « The New International Law : Protection of the Rights of Individuals Rather than States », Am. U. L. Rev., n°32, 1982, p.1 et 13.

[72] Constitution de l'Afrique du Sud, dans Albert P. Blaustein et Gisbert H. Flanz (dir.), Constitutions of the Countries of the World, vol.XVII, Oceana Press, 1971 et supp. 1994.

[73] Constitution bolivienne de 1967, amendée en 1994 par la Loi de Réforme de la Constitution Politique de l'État, N.1585, dans Albert P. Blaustein et Gisbert H. Flanz (dir.), Constitutions of the Countries of the World, vol.II, 1971 et supp. janvier 1995, p.22.

[74] Constitution du Japon, dans Albert P. Blaustein et Gisbert H. Flanz (dir.), Constitutions of the Countries of the World, vol.IX, 1971 et supp. avril 1990, p.16.

[75] La Loi Fondamentale de la République Fédérale d'Allemagne, dans Albert P. Blaustein et Gisbert H. Flanz (dir.), Constitutions of the Countries of the World, vol.VII, 1971 et supp. janvier 1995, p.113. Voir David P. Currie, The Constitution of the Federal Republic of Germany, University of Chicago Press, 1994, p.311, note 266 (souligné par Currie).

[76] Steven M. Wise, « The Eligibility of Nonhuman Animals for Dignity-Rights in a Liberal Democracy », Vermont Law Review, n°22, 1998, p.864.

[77] Id. p.849-64. La citation est tirée de « Meacham v. Fano », United States Reports, vol.4217, p.215 et 230 (Stevens, J., opinion contraire), citée positivement dans « Smith v. Organization of Foster Families », United States Reports, vol.431, 1977, p.816 et 846.

[78] Steven M. Wise, voir supra note 91, p.862-4.

[79] Randy E. Barnett (1995), voir supra note 12, p.93.

[80] Peter Westen, Speaking of Equality, Princeton University Press, 1990, p.185-229.

[81] Kenneth W. Simons, « Equality as a Comparative Right », Boston University Law Review, n°65, 1985, p.387, 424, 446-447 et 479 ; Joel Feinberg, voir supra note 77, p.278. Voir « City of Cleburne v. Ceburne Living Center, Inc. », United States Reports, vol.473, 1985, p.432 et 439.

[82] Henry Fountain, « Proof Positive That People See Colors With the Tongue », New York Times, 30 mars 1999, p.F5

[83] Harriet Ritvo, The Platypus and the Mermaid and Other Figments of the Classifying Imagination, Harvard University Press, 1997.

[84] Stephen Jay Gould, The Mismeasure of Man, W.W. Norton & Co., 1981, p.50-69.

[85] Alexis de Tocqueville, Democracy in America, vol.2, 1987, p.97.

[86] « Samaad v. City of Dallas », F. 2d vol.940 (5th Circuit Court), 1991, p.925 et 941. Voir Kenneth W. Simons, « Overinclusion and Underinclusion : A New Model », UCLA L. Rev. n°36, 1989, p.447 et 465.

[87] Marilyn J. Chambliss, « Why do Readers Fail to Change Their Beliefs After Reading Persuasive Text ? » dans Ruth Garner et Patricia A. Alexander (dir.), voir supra note 18, p.83.

[88] Stephen Jay Gould, voir supra note 99, p.42-7.

[89] Christopher D. Stone, Should Trees Have Standing ?, William Kaufman, Inc., 1974, p.8.

[90] Voir Laurence H. Tribe et Michael C. Dorf, « Levels of Generality in the Definition of Rights », U. Chi. L. Rev., n°57, 1990, p.1057 et 1106.

[91] Voir par exemple « Logan v. Zimmerman Brush Co. », United States Reports, vol.455, 1982, p.422 et 442 ; « Rinaldi v. Yeager », United States Reports, vol.384, 1966, p.305 et 308-9 ; « McLaughlin v. Florida », United States Reports, vol.379, 1964, p.184 et 191. Voir Kenneth W. Simons, voir supra note 101, p.465-7 et 501-3.

[92] Voir par exemple « New York City Transit Authority v. Beazer », United States Reports, vol.440, 1979, p.568 et 591.

[93] Voir par exemple « Skinner v. Oklahoma », United States Reports, vol.316, 1942, p.535.

[94] Kenneth W. Simons, voir supra note 101, p.467 ; Joel Feinberg, voir supra note 77, p.287 note 18.

[95] « Romer v. Evans », S.Ct. vol. 116, 1996, p.1620 et 1627-9 ; « Skinner », voir supra note 108. Voir « Thoreson v. Penthouse International, Ltd. », N.Y.S. 2d, vol.563, Cour suprême, 1990, p.968 et 975.

[96] « Romer », voir supra note 110, p.1629 ; Laurence W. Tribe, American Constitutional Law, 2e édition, Foundation Press, 1988, p.1454, 1627 et 1628 ; Ronald Dworkin, Law's Empire, Harvard University Press, 1986, p.384-5.

[97] « Yick Wo v. Hopkins », United States Reports, vol.118, 1886, p.356, 373 et 374.

[98] « McLaughlin v. Florida », United States Reports, vol.379, 1964, p.184. Voir Andrew Kull, The Color-Blind Constitution, Harvard University Press, 1992, p.169.

[99] « Romer », voir supra note 110, p.1628.

[100] « Roberts v. City of Boston », Mass., vol.59, 1850, p.198 et 209-10 ; « Plessy v. Ferguson », United States Reports, vol.163, p.537. Voir Andrew Kull, voir supra note 113, p.131.

[101] « Durkee v. City of Janesville », Wis., vol.28, 1871, p.464 et 467 ; « Holden v. James », Mass., vol. 11, 1814, p.396 et 405 ; « Roberts », voir supra note 115, p.209-10. Voir J. Morgan Kousser, « The Supremacy of Equal Rights : The Struggle Against Racial Discrimination in Antebellum Massachusetts and the Foundations of the Fourteenth Amendment », Nw. Univ. L. Rev. n°82, 1988, p.941, 974 et 987 ; « Argument of Charles Summer, Esq. against the Constitutionality of Separate Colored Schools, in the Case of Sarah C. Roberts v. The City of Boston » (1849), reproduit dans Paul Finkelman (dir.), Abolitionists in Northern Courts, Garland Publishers, 1988, p.493.

[102] Voir par exemple « Chrisafogeorgis v. Brandenberg », N.E. 2d, vol.304, p.88 et 92, reh. den. (Ill. 1973), citant « Kwaterski v. State Farm Mutual Automobile Ins. Co. », N.W. 2d, vol.148, p.107 et 110 (Wis. 1967).

[103] « Puhl v. Milwaukee Automobile Ins. Co. », N.W. 2d, vol.99, p.163 et 170, reh. den. (Wis. 1960).

[104] Voir par exemple « Morse v. Greyhound Lines, Inc. », N.E. 2d, vol.331, p.916 et 919-20 (Mass. 1975) ; « Wiersma v. Maple Leaf Farms », N.W. 2d, vol.543, p.787 et 792 (S.D. 1996)..

Les droits proportionnels impliquent une nouvelle sorte d'égalité qui, comme nous le verrons au chapitre 11, est riche de possibilités pour les droits des animaux non humains. L'inlassable et omniprésent Aristote s'est aussi penché sur ces droits : exactement comme les semblables devraient être traités de manière semblable, parfois les dissemblables ne devraient pas être traités seulement de manière différente mais proportionnellement à leur dissemblance [[Douglas Rae, Equalities, Harvard University Press, 1981, p.59.

[105] Alan Gewirth, Reason and Morality, University of Chicago Press, 1978, p.121.

[106] Id. p.111.

[107] Carl Wellman, Real Rights, Oxford University Press, 1995, p.129

[108] Id. p.130-1.

[109] Deborah Blum, The Monkey Wars, Oxford University Press, 1994, p.150.

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