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Cahiers antispécistes n°13 - décembre 1995

Nouvelles du front anti-libération animale

Réflex :

Le journal antifasciste Réflex, qui avait publié il y a deux ans un long article mensonger et diffamatoire sur la libération animale ( « Nous ne mangeons pas d'antispécistes pour ne pas tuer d'animaux »), et qui n'avait accepté de publier ni un droit de réponse des individus et collectifs incriminés, ni aucune des centaines de lettres de protestation qu'il avait reçues, vient de faire paraître un « article de réparation ». Il a en effet publié dans son numéro 47 (septembre 95) l'une de ces lettres, qui n'est pas mal, plutôt claire dans son propos, quoique par contraste fort brève. Dans la présentation qu'en fait la rédaction, on nous dit qu' « il est vrai que Réflex, en ne publiant pas un des articles reçus à cette occasion défendant un autre point de vue, a manqué d'ouverture d'esprit. Mais, mieux vaut tard que jamais... et nous publions donc un des textes signé par Jany. » On a l'impression que Réflex fait un réel pas dans notre direction en la publiant. Cependant...

Il y a deux remarques à faire à cet égard : évidemment, les lettres de protestation exposaient « un autre point de vue » ; mais, surtout, elles s'insurgeaient contre les allégations mensongères et diffamatoires dont était truffé l'article, qui ne saurait, lui, dès lors être qualifié de « point de vue ». Ensuite, l'ouverture d'esprit reste tout de même très relative, puisqu'aucun des individus ou collectifs explicitement mis en cause dans l'article ne se voit, pas plus aujourd'hui qu'hier, accorder de droit de réponse, ce qu'exigerait pourtant la moindre déontologie journalistique.

Du coup, je vois mal que la publication de cette lettre de Jany soit vraiment sincère, qu'elle signifie que Réflex admet combien son article était infect. Il s'agit plutôt d'une mesure toute politique d'apaisement des conflits ou déchirures au sein du milieu antifasciste : rappelons que des individus avaient résilié leur abonnement à la revue, que des collectifs avaient cessé de la diffuser, que certaiens refusent désormais de travailler avec les réseaux antifascistes liés à Réflex, que des groupes libertaires ont éclaté suite à la parution de cet article, etc. C'est vrai qu'il serait préférable que ces problèmes se résolvent. Mais toute solution n'est pas pour autant acceptable, et l'on a parfois l'impression d'être pris pour des imbéciles.

Ainsi, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que si la lettre de Jany se termine par un appel à travailler tous ensemble « dans la lutte contre toutes formes de discriminations et de privilèges », elle dit aussi « dans le respect de nos différences » : ce « respect de nos différences » ne risque-t-il pas d'être interprêté pour les antispécistes comme un devoir de respect envers le spécisme des antifascistes de Réflex ? C'est bien l'impression qui ressort fortement lorsqu'on lit le petit commentaire ajouté par la revue pour « éclaircir [son] point de vue » : « Sur le végétarisme, il y a bien longtemps que dans nos groupes des membres en sont adeptes, et cela n'a jamais créé de problèmes ni aux uns, ni aux autres. Pour autant, nous faisons une différence entre les humains et les animaux. Et si cela suffit à nous traiter de meurtriers, il est certain que l'échange entre nous sera en effet très difficile et difficilement serein. Pour finir, nous tenons à réaffirmer le droit des deux thèses à s'exprimer et à se confronter sans que cela donne lieu à des anathèmes. »

Ce passage est un modèle du genre : comment finalement dire fondamentalement l'inverse de ce qu'on donne superficiellement l'impression d'affirmer. Déjà, sans même parler d'analyse générale, il y a problème au niveau premier de chaque phrase : contrairement à ce qu'affirme Réflex, il y a pratiquement toujours eu des problèmes, dans les groupes antifascistes, entre les « végétariens » (les antispécistes) et les autres. À moins que les premiers ne se taisent, n'osent affirmer leur point de vue, c'est-à-dire, se soumettent et acceptent le spécisme des autres. Ce qui, en soi, mérite d'être appelé un problème.

Ensuite, c'est rien moins que la réalité même de l'oppression spéciste qui est niée par la phrase : « Et si faire une différence entre humains et animaux suffit à nous traiter de meurtriers... » ; les antispécistes aussi font une différence (et même de nombreuses) entre humains et autres animaux (notamment, les humains peuvent réfléchir et agir au niveau éthique). Mais ils nient que ces différences aient une signification morale, qu'elles puissent fonder le fait de léser les intérêts de ceux qui sont moins bien pourvus que nous en, par exemple, intelligence, liberté, faculté d'abstraction, capacité de résoudre des équations du troisième degré ou de se servir correctement d'une cocotte-minute, etc. Nous disons, sans jamais être contredits (de façon argumentée et raisonnée, tout du moins) qu'il est toujours injuste de refuser de prendre en compte les intérêts de quelqu'un, à partir du moment où ces intérêts existent (à partir du moment où un être peut jouir et souffrir). Ce n'est pas parce que les gens de Réflex distinguent entre humains et autres animaux qu'ils se font traiter de meurtriers : c'est parce qu'ils tuent ou font tuer des animaux, et pas de temps en temps par mégarde, mais bien quotidiennement, et pour l'intérêt dérisoire (relativement à celui, vital, de leurs victimes à ne pas être tués !) qu'ils trouvent à manger leur chair ! S'ils tuent et ne veulent pas être traités de meurtriers, il y a un problème, mais pour le régler il ne suffit pas de cesser de parler de meurtre. Ce qu'affirment là les gens de Réflex, c'est qu'ils veulent bien, eux, continuer de travailler avec des antispécistes, pourvu que ceux-ci ferment les yeux sur leurs pratiques spécistes.

Grosso-modo, Réflex dit : on veut discuter de tout, mais si l'on continue à nous traiter de meurtriers, la discussion sera difficile. Nous sommes d'accord : il sera difficile à Réflex de montrer en quoi on a tort de parler de meurtre. Par contre, nous refusons la logique implicite de cet article, qui est : la balle, antispécistes, est désormais dans votre camp, et, maintenant que nous avons publié cette lettre, c'est à vous de faire des efforts : qui consistent justement à ne plus mettre sur un même plan vies et morts humaines et animales sensibles, à ne plus considérer la mort d'un animal comme moralement meurtre, et donc, ceux qui ont commandité cette mort en achetant de la chair, comme des meurtriers.

Antispécistes, renoncez à l'antispécisme (ou du moins à en parler), et nous pourrons discuter ! (du moins, plus facilement).

Réflex, large d'esprit, tient à « réaffirmer (!) le droit des deux thèses à s'exprimer ». Nous ne demandons non plus rien de mieux que de confronter toutes les thèses. Mais de thèse, jusqu'à présent, il n'y en a qu'une : celle des antispécistes. Il n'y a pas de thèse de Réflex, pas d'arguments, rien qui tienne la route, rien. Il n'y a qu'une attaque en règle contre l'antispécisme, qui est non une critique des motivations, arguments et raisons des antispécistes, mais une déformation mensongère dans le but de ridiculiser. Nous ne pouvons pas accepter que l'on parle de thèse à propos de l'article commis en 1993. Ce n'était que de la diffamation.

Nous demandons donc que puisse s'exprimer la thèse en présence, celle des antispécistes, pour qu'elle puisse être connue de tous les lecteurs de Réflex qui ont été trompés à son sujet ; et si ceux qui ne sont pas d'accord avec nous parviennent à construire une autre thèse, c'est-à-dire une argumentation contre l'antispécisme réel, non contre leur propre phantasme d'antispécisme, qu'ils s'expriment aussi. C'est cela qu'on pourrait appeler une discussion.

Cela n'empêche pas les militants pour l'égalité que nous sommes de travailler avec Réflex contre le fascisme et tout renforcement des répressions politiques, mais nous ne sommes pas dupes, et, tant qu'ils n'auront pas changé d'attitude, il serait plus honnête de leur part de cesser d'affirmer qu'ils sont ouverts aux libres discussions.

Petite parenthèse, en lien avec ce qui précède :

Admettre qu'on puisse être un meurtrier est la première des choses nécessaires à une réelle discussion. Croyons-nous que les hommes qui ont commis des viols s'admettent facilement comme violeurs ? Il n'y a qu'à lire Le viol au masculin (D. Welzer-Lang) pour voir que les violeurs, ce sont toujours les autres, même quand on est soi-même condamné pour viol ! Est-ce si difficile de s'admettre assassin, ou complice d'assassinats ? Nous sommes complices de tant de choses... L'important n'est pas ce que nous avons fait, autrefois, mais ce que nous allons faire, et, notamment, ce que nous allons faire pour ne plus refaire ce que nous avons fait autrefois. Nous remettre en cause, tout autant que changer le monde, passe par la reconnaissance :

1) du caractère dégueulasse (éthiquement déplorable) de certaines pratiques ;

2) du fait que nous sommes auteurs ou complices, ou même, indépendamment de cela, la reconnaissance du fait que nous avons des possibilités d'agir contre ces pratiques.

Sans cette volonté de se remettre en cause, de s'entendre critiquer, même durement, d'être prêts à endosser, ne serait-ce que le temps de changer de comportements, la casquette du « méchant »... il n'y a pas de volonté de changer quoi que ce soit en ce bas monde.

Comment les hommes remettront-ils en cause le sexisme, s'ils se posent dès le départ antisexistes, ou si, antisexistes, ils se posent dès lors non sexistes ? Leur remise en cause du sexisme passe par l'acceptation de se faire « traiter » de sexistes. Dans une société fondamentalement sexiste, si par contre ils refusent cette possibilité, c'est très certainement qu'ils ne veulent pas, dans les faits, remettre en cause le sexisme (et c'est dans les faits, et pas ailleurs - les mentalités aussi sont des faits -, qu'existe le sexisme). CQFD.

Se voir décerner le qualificatif de meurtrier : franchement, dans une société où les morts se comptent par milliards par an... il vaut mieux être dans la peau de quelqu'un qui se fait traiter de meurtrier que dans celle de quelqu'un qui se fait tuer...

Mais il y a une autre solution, qui pourrait contenter tout le monde, gens de Réflex, antispécistes, et plus encore tous ceux qui se font tuer... : cesser de tuer et de faire tuer.

Nous sommes prêts à aider quiconque à aller dans cette direction.

Fédération anarchiste :

Depuis plus d'un an, il y a un débat au sein de la Fédération anarchiste (FA) sur (et plutôt contre) l'antispécisme. Comme on pouvait hélas s'en douter, la question de fond (doit-on donner la même considération aux intérêts des êtres sensibles non humains qu'à ceux des humains) n'est jamais abordée rationnellement par nos détracteurs, qui préfèrent insinuer que nous serions liés à l'extrême-droite ou que nous serions contre le droit à l'avortement (entre autres joyeux contre-sens). Et, bien que deux textes pro-antispécisme soient également parus dans le bulletin intérieur de la Fédération anarchiste, celle-ci lors de sa dernière assemblée générale a bien failli voter la motion suivante : « la FA combat l'anti-spécisme ». Cela n'a été évité que parce que l'unanimité est requise pour l'adoption des motions, et que deux ou trois individus (seulement !) s'y sont opposés.

Par contre, la FA a décidé de surseoir à toute publicité pour l'antispécisme ou pour toute intiative dans laquelle seraient engagés des antispécistes, dans ses organes de presse (radio, journaux, etc.).

Nous avons eu des échos des raisons qui ont été données de cette décision dans le Bulletin intérieur de juin 1995 : elles sont diverses et variées, mais témoignent surtout d'une grande méconnaissance de ce qu'est l'antispécisme.

On y trouve ainsi l'accusation que nous serions mystiques, que nous propagerions l'idée du caractère sacré de la vie, que nous serions « pour le moins ambigus par rapport à l'avortement », que nous serions anti-science et pour le retour à la nature, etc., etc. Autant de contre-vérités, dont on se demande comment elles ont pu s'accumuler ainsi, lorsque l'on sait que des membres de la FA étaient censés lire les publications du mouvement, et en rendre compte à leurs compagnons de route ! Ces individus, c'est le moins qu'on puisse dire, n'ont pas fait leur boulot, et se sont contentés de collecter les pires on-dits qui trainent sur notre compte, sans se donner la peine de les vérifier.

Il ne sera du coup pas inintéressant d'envoyer un petit dossier de réfutation aux différents groupes FA, en attirant l'attention sur le fait que leur organisation a pris sa décision sur des ragots infondés, et non sur une véritable connaissance de l'antispécisme. C'est ce que se propose de faire bientôt la Fédération antispéciste.

Pour l'anecdote, par une charmante ironie, c'est depuis que la FA a décidé explicitement d'éviter toute publicité favorable à nos thèses, qu'on a pu lire pour la première fois un (petit) texte anti-spéciste dans leur hebdomadaire : Jean-Marc Reynaud (Le Monde libertaire du 8 au 14 juin 1995, p. 7) écrit ainsi les phrases suivantes, auxquelles nous souscrivons également : « C'est bien connu, l'écologie a largement démontré qu'elle pouvait faire dans le meilleur comme dans le pire. Le meilleur étant de poser les problèmes écologiques en termes sociaux et sociétaires. Le pire étant de les poser en termes mystiques, spécistes, racistes ou tout simplement inter-classistes et non sociaux. » Merci Jean-Marc !

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