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CA n°41 - [Livre] - Éliminer les animaux pour leur bien: promenade chez les réducteurs de la souffrance dans la nature

Chapitre 4 – Mouvement RWAS et mouvement de libération animale

Jusqu’à présent, le mouvement de libération animale (ou mouvement des droits des animaux) s’est concentré sur l’objectif de faire cesser les usages que font les humains d’autres animaux au détriment de ces derniers, que ce soit pour les loisirs, la recherche ou la fourniture de biens de consommation. Une grande majorité des acteurs de la mouvance RWAS sont engagés dans le mouvement des droits des animaux, et certains en sont des penseurs ou militants de premier plan. Le site Animal Ethics est une bonne illustration de cette conjonction : il est original par la place importante qu’il accorde à la thématique RWAS, mais si vous êtes familiarisé avec le mouvement de libération animale, ses autres composantes ne vous dépayseront pas (cf. les parties du site traitant de l’exploitation des animaux, de la sentience, ou de l’éthique). À première vue, il semble donc qu’il faille considérer le mouvement RWAS comme un prolongement du mouvement de libération animale, et c’est certainement ainsi que le voient la plupart de ses promoteurs. Un prolongement de taille toutefois, puisque les animaux sauvages sont beaucoup plus nombreux que les animaux domestiques, et que les maux naturels font davantage de dégâts parmi les animaux sauvages que la pêche ou la chasse humaines. On peut y voir aussi un saut qualitatif puisque, pour les éthiciens RWAS, il s’agit d’accéder au sens plein de la logique antispéciste, là où le mouvement de libération animale est resté cantonné dans le provincialisme humain. C’est l’idée que Moen exprime en ces termes :

Alors que l’anthropocentrisme traditionnel ne se soucie que de la souffrance humaine, le second type d’anthropocentrisme ne se soucie que de la souffrance causée par des humains. À mon avis, si nous estimons que la souffrance en tant que telle est mauvaise (en gros, à la manière de Singer), on voit mal pourquoi l’espèce à laquelle appartiennent ceux qui causent la souffrance aurait une importance, alors que l’espèce à laquelle appartiennent ceux qui souffrent n’en a pas. (Moen, 2016, p. 92)

On ne peut pourtant pas s’arrêter là, et conclure simplement que le projet RWAS inclut le projet de libération animale (libérer les animaux des sévices humains), même s’il le déborde si largement qu’il fait de la fin de l’exploitation animale une composante mineure de la tâche à accomplir. Il y a deux raisons à cela. La première est qu’on trouve dans la mouvance RWAS des auteurs qui, explicitement, préconisent des actions qui entrent dans le champ des activités humaines que le mouvement de libération animale cherche à abolir. La seconde raison est que certaines des idées présentes chez les RWAS peuvent faire douter de l’opportunité de s’engager pour mettre fin aux productions animales. Nous allons dans ce qui suit examiner trois domaines où il y a conflit, explicite ou latent, entre la mouvance RWAS et le mouvement des droits des animaux : l’expérimentation animale, la chasse et la promotion du végétalisme.

4.1. Expérimentation animale

De nos jours, des dizaines de millions d’animaux sont soumis chaque année à des expériences cruelles et souvent mortelles dans les laboratoires, et ce de façon très prédominante au bénéfice des humains, que ce soit pour la recherche fondamentale, pour la recherche médicale ou pour d’autres fins. Il est interdit d’utiliser des humains de la sorte. Les essais cliniques de médicaments sur des humains n’interviennent qu’après l’expérimentation animale. Ils ne sont pratiqués que sur des volontaires, et sont strictement encadrés pour assurer autant que possible la sécurité des testeurs. Dans ce contexte, le mouvement des droits des animaux a jusqu’ici pris position pour l’abolition de l’expérimentation animale et le développement des méthodes de substitution.

Le refus de soumettre des animaux à des expériences dangereuses, et d’en faire des captifs à cette fin, est-il compatible avec le projet RWAS ? Chez la plupart des auteurs, le sujet n’est pas abordé. On en reste à des généralités optimistes sur les progrès des sciences qui permettront de remédier à la souffrance des animaux sauvages. Les très rares RWAS qui abordent le sujet sont francs : oui, il faudra recourir à l’expérimentation animale1. On voit mal en effet comment la mise au point des techniques permettant de remédier à des causes naturelles de souffrance pourrait se passer de tests sur des sujets non consentants. Cela semble vrai pour des interventions visant à développer des méthodes classiques de médecine, mais appliquées à des espèces peu étudiées jusqu’ici, et pour lesquelles l’arsenal contraceptif ou thérapeutique n’existe pas. Et cela semble vrai a fortiori pour les projets ayant pour objectif de causer des mutations profondes au sein d’espèces qui, à terme, n’auraient plus le même comportement alimentaire ou le même comportement reproductif – qui auraient été littéralement reprogrammées pour devenir des espèces différentes.

Dans son article fondateur de 1995, Yew-Kwang Ng indique déjà que les progrès de la biologie du bien-être exigeront énormément de recherches et que, pour ne pas y faire obstacle, le mouvement animaliste ferait bien de mettre en sourdine ses revendications contre l’expérimentation animale : « Le salut des animaux dépend des avancées scientifiques. Un contrôle strict de l’expérimentation animale peut s’avérer très contre-productif à long terme. Les défenseurs du bien-être animal feraient mieux de s’employer à élever les normes de l’élevage industriel plutôt que de chercher à imposer un contrôle strict sur l’expérimentation animale. » (Ng, 1995, p. 275). Il répète la même mise en garde dans un article publié 21 ans plus tard (Ng, 2016a, p. 7).

Kyle Johannsen aborde lui aussi de front la question de l’expérimentation dans un article de 2017 intitulé « Animal Rights and the Problem of r-Strategists ». Il y parle des perspectives ouvertes par le forçage génétique2(gene drive), envisageant comme application de faire chuter la fertilité des stratèges r, tout en faisant que leur probabilité de survie au-delà d’un très jeune âge augmente. Il faudrait simultanément (pour que ni les espèces à sélection r visées, ni leurs prédateurs, ne soient conduits à l’extinction) modifier l’environnement de ces espèces, en développant des types de plantes adaptées à l’alimentation des (ex-)prédateurs3. Johannsen reconnaît que pour y parvenir, il faudra « causer des torts significatifs à des animaux », car :

Développer les caractères que nous espérons voir se répandre dans la nature exige d’expérimenter sur des animaux, et les expériences peuvent être invasives, douloureuses et invalidantes. Étant donné qu’un des principaux objectifs du mouvement des droits des animaux est de mettre un terme à l’expérimentation animale, il est compréhensible que beaucoup de théoriciens des droits des animaux soient peu disposés à approuver l’expérimentation génétique sur des stratèges r. Toutefois, les torts causés par l’expérimentation ne sont pas injustifiés dans ce cas, et je ne crois pas qu’il faille être utilitariste pour le penser (moi-même je ne suis pas utilitariste). (Johannsen, 2017, p. 174)

Il poursuit en expliquant que seuls les déontologistes les plus stricts estiment que les devoirs négatifs (ne pas tuer, ne pas causer de torts à des innocents…) ont toujours la priorité sur les devoirs positifs (devoirs de porter assistance). Pour les autres, il existe un seuil (certes difficile à définir) à partir duquel il est admissible de violer les droits des individus pour remédier à des situations dramatiques. Johannsen précise enfin que sa position n’est pas spéciste, car si une population humaine connaissait un taux de fécondité et un taux de mortalité infantile comparable à celui des stratèges r, il estimerait justifié, en l’absence de volontaires, de pratiquer de force des expériences sur certains de ces humains, afin d’essayer de faire sortir cette population d’un régime démographique qui implique la mort d’une multitude d’enfants.

Ng et Johannsen n’approfondissent guère les questions soulevées par le recours à l’expérimentation animale5. On doit néanmoins leur savoir gré d’avoir clairement dit que c’était un point sur lequel il y a incompatibilité entre le projet RWAS, tel qu’ils le conçoivent, et une revendication portée par le mouvement des droits des animaux.

Faut-il ou non jeter aux orties l’exigence d’abolition de l’expérimentation animale ? Si oui, dans quels cas et à quelles conditions ? Le type d’interventions envisagé par Johannsen soulève en outre d’autres questions. Il s’agit en effet d’une emprise totale sur les corps et les mœurs des animaux6, à côté de laquelle la modification de quelques espèces domestiquées par des humains au cours des derniers millénaires fait figure de détail insignifiant.

Il est improbable que nous ayons la capacité mentale de traiter convenablement ces questions dans l’abstrait et dans toute leur étendue. Mais, à mon avis, ce n’est pas ainsi que les choses se présenteront (dans un éventuel futur où l’on ferait grand cas du bien-être des animaux sauvages). Elles viendront par « petits bouts », un peu plus maniables. Quand on envisagera une intervention précise, sur une espèce particulière d’animaux sauvages et/ou sur un territoire spécifique donné, des analyses contradictoires beaucoup plus étoffées de l’opportunité de le faire pourront être produites. Il faudra imaginer des dispositifs permettant aux animaux de révéler l’intensité de leur préférence, ou de leur aversion, pour tel ou tel aspect de leur existence qui serait modifié par l’intervention envisagée. Peut-être mettra-t-on en place de solides garde-fous institutionnels permettant aux animaux visés par un projet d’intervention d’être défendus par des représentants indépendants des porteurs du projet, et dotés d’outils juridiques leur permettant d’avoir gain de cause.

Dans l’immédiat, les partisans de la libération animale, qu’ils soient ou non tentés par le projet RWAS, peuvent rester d’accord sur la dénonciation du caractère inéquitable du système actuel, où les animaux sont dans le rôle de matériel de laboratoire et les humains dans celui de bénéficiaires de la recherche7. Il n’en reste pas moins vrai qu’au-delà de ce point, il va falloir reconnaître qu’il y a incertitude, ou pluralité d’appréciation, sur la légitimité de mener des expériences nocives sur des êtres sentients.

4.2. La chasse aux prédateurs est-elle ouverte ?

La prédation a été le premier des maux naturels à retenir l’attention de théoriciens et militants antispécistes, avant de voir son importance relative décliner dans les réflexions des RWAS au cours de la dernière décennie. Steve Sapontzis en traite longuement dans le chapitre 13 de Morals, Reason and Animals paru en 19878. Il s’agit d’une discussion théorique visant à démontrer qu’il n’est pas absurde de soutenir que nous avons l’obligation morale de nous opposer à la prédation quand cela est possible sans causer de souffrances supérieures à celle évitées par notre action. L’auteur n’aborde pas le sujet des mesures concrètes qui permettraient de mettre ce précepte en pratique. De même, la question des applications pratiques est quasiment absente des articles de David Olivier et Yves Bonnardel parus dans Les Cahiers antispécistes dans les années 1990. Tout en adoptant le point de vue de Sapontzis sur la prédation, ces derniers développent surtout la critique de la croyance en un ordre naturel bon ou juste, et marquent sur cette base leur distance avec la préservation de la nature telle que défendue par les écologistes. C’est aussi dans les années 1990 que David Pearce, un pionnier du mouvement transhumaniste, publie en ligne son livre The Hedonistic Imperative, dans lequel il expose le dessein d’une révision complète des écosystèmes et de la constitution des êtres sentients. Selon lui, d’ici quelques siècles, il sera possible de transformer la planète en une sorte de paradis terrestre grâce à l’application de diverses sciences et techniques. Les êtres sentients n’y connaîtront pas la souffrance et auront des aptitudes accrues au bonheur ; aucun d’entre eux ne sera carnivore. Ce thème de la transformation souhaitable des animaux carnivores en végétariens reparaît dans des écrits de divers auteurs par la suite9, mais il concerne un futur hypothétique lointain, si bien qu’il n’y a pas urgence à se préoccuper des questions qu’il soulève. Rien de ce qui a été évoqué jusqu’ici ne présente d’interférences problématiques avec les positions défendues aujourd’hui par le mouvement des droits des animaux. Ce n’est pas le cas non plus pour un remède très partiel à la prédation qui pourrait être appliqué à court terme : mettre au point des préparations alimentaires végétales pour prédateurs sauvages (sur le modèle des aliments véganes pour chiens et chats domestiques) qui les détourneraient de la chasse si on procédait à leur nourrissage dans la nature. L’idée est en circulation dès la fin du XXe siècle et reparaît dans maints écrits plus tardifs. Mais plusieurs auteurs RWAS proposent aussi une autre mesure d’assistance aux proies, applicable immédiatement, et ne requérant aucune technique innovante : la mise à mort de prédateurs.

On trouve l’idée chez Peter Alward en 2000. Son article « The Naïve Argument against Moral Vegetarianism » se conclut par cette phrase : « Végétariens, tuez vos chatons ! ». Si l’on prend au sérieux l’argumentation qui précède – et l’auteur s’est efforcé de la construire sérieusement – alors il ne s’agit pas d’un « bon mot de la fin », mais bien de l’affirmation qu’un végétarien cohérent devrait considérer de son devoir de tuer les animaux carnivores. L’article a pour point de départ une objection que les omnivores opposent régulièrement aux végétariens quand ces derniers soutiennent qu’il est mal (morally wrong) de tuer un animal pour manger sa chair : « Alors vous devez soutenir aussi qu’il est mal que les lions tuent les gazelles. » Alward poursuit en arguant que la seule façon cohérente pour les végétariens de défendre leur position est d’admettre qu’il est effectivement mal que les lions tuent les gazelles. Le fait que les lions n’aient pas conscience de mal agir, ou qu’ils aient besoin de tuer pour vivre, contrairement aux humains, ne change rien à l’affaire. La mort est un mal pour les gazelles comme pour les lions, mais puisqu’un lion a besoin de tuer plusieurs proies pour rester en vie, il n’y a pas égalité des dommages subis entre un lion qui meurt de faim et plusieurs gazelles qui se font dévorer. Alward en conclut que si les végétariens persistent à soutenir qu’il est mal de manger un animal tué à cette fin, alors « il est clair que nous avons le devoir d’empêcher ces carnivores de manger de la viande quand cela est en notre pouvoir. Et comme il serait cruel de laisser un animal mourir de faim, si on ne trouve pas d’alimentation alternative à lui fournir, il semble que nous ayons le devoir de les euthanasier. » (Alward, 2000, p. 88)

David Benatar critique la position d’Alward dans un article paru en 2001 (Benatar, 2001). Il remarque notamment qu’il suffit de considérer qu’un végétarien adhère à l’idée qu’il est mal de tuer un animal pour le manger sans raisons sérieuses (et que le motif de survie est une raison sérieuse) pour que l’argument d’Alward tombe à l’eau. Les gens peuvent estimer moralement juste de se passer de produits animaux sans que cela les engage ni à tuer les lions, ni à tuer les humains qui ont besoin de chasser pour vivre. Benatar observe par ailleurs qu’il existe peu de « libérationnistes extrêmes » qui estiment devoir tuer les humains carnivores qui refusent de se ranger à leurs raisons, ce qu’ils devraient faire aussi s’ils adoptaient le raisonnement d’Alward.

En mai 2016, David Olivier publie sur son blog un texte intitulé « Sur le droit à la vie des prédateurs » présentant des points communs avec celui d’Alward. Outre le constat qu’un prédateur tue plusieurs proies (qu’on retrouve dans tous les textes contre la prédation), Olivier, comme Alward, vise le public des militants animalistes, et cherche à le persuader que ses inhibitions à l’idée de tuer les prédateurs sont infondées. Comme Alward, Olivier passe par la case « mieux vaut affamer les prédateurs », avant de noter que l’euthanasie est préférable. L’originalité du texte réside dans une analogie avec le prélèvement d’organes : si vous n’approuvez pas qu’une personne soit tuée pour donner ses organes à des malades qui ont un besoin vital de transplantation, il n’y a pas de raison que vous jugiez normal qu’un prédateur dévore les organes d’une proie parce qu’il a un besoin vital de se nourrir. Pas plus qu’Alward, Olivier ne se montre un « libérationniste extrême » : il ne nous invite pas à nous débarrasser de nos inhibitions face à l’idée de tuer les humains carnivores, ni même de nos inhibitions à les laisser mourir en évitant de leur venir en aide quand les circonstances les placent en mauvaise posture.

D’autres auteurs ont défendu une position similaire, mais en soulignant l’utilité d’acteurs extérieurs au mouvement animaliste. C’est le cas de l’économiste Tyler Cowen en 2003 dans un article intitulé « Policing Nature ». Les prédateurs qui agressent d’autres animaux, note-t-il, « ne sont pas différents d’un tueur humain fou10 » et nous sommes d’accord pour que la police empêche les meurtres d’humains quand c’est faisable sans coût excessif. Or, il existe des agents qui tuent gratuitement des prédateurs. Autant profiter de leurs services. Le mouvement animaliste ferait bien de changer d’attitude à leur égard :

Dans certains cas, on peut faire la police dans la nature à un coût nul pour les êtres humains. Prenons l’exemple des tigres. Des humains les chassent, et ils en chasseraient encore davantage en l’absence d’interdiction légale. Le coût net de la chasse au tigre est de zéro pour les humains. En fait, elle est même source de gains puisque les produits issus des tigres peuvent être vendus avec profit. […] En réalité, les chasseurs de tigres font la police dans la nature, même si ce n’est pas leur intention. Chaque fois qu’ils tuent un tigre, ils évitent que ce tigre continue à perpétrer de violentes agressions contre d’autres animaux […]. De même, la chasse au renard a longtemps été une tradition populaire en Angleterre, et de ce fait une activité qui se finance d’elle-même. (Cowen, 2003, p. 173)

Il devient par exemple évident que défendre les droits des animaux n’implique pas automatiquement d’interdire aux humains de chasser des carnivores tels que les renards ou les tigres. […] À l’évidence, nous devrions investir moins de ressources pour sauver des espèces carnivores menacées. […] Nous devrions prendre au sérieux l’idée de policer la nature et, dans la foulée, éliminer les subsides que nous offrons aux carnivores sauvages. (id., p.182)

En septembre 2015, Amanda et William McAskill publient une sorte de remake (beaucoup moins travaillé) de l’article de Cowen sur le site Quartz, sous un titre qu’ils jugent sans doute spirituel : « Pour vraiment en finir avec la souffrance animale, la voie la plus éthique est de tuer les prédateurs sauvages (et tout particulièrement le lion Cecil) ». De nouveau, le lion est assimilé à un tueur en série humain (qu’on est heureux de voir mis hors d’état de nuire). Comme tous les auteurs dans cette veine, ils nous invitent à ne pas surestimer le risque de désastre écologique lié à l’élimination de prédateurs, surtout quand on agit à petite échelle et concluent : « Il est difficile de comprendre pourquoi l’abattage de Cecil a provoqué une telle fureur chez les défenseurs des animaux. Walter Palmer [Le chasseur américain qui a tiré sur Cecil] a tué un animal mais, ce faisant, il en a sauvé des douzaines d’autres. »

Citons enfin la position de Brian Tomasik, telle qu’il l’exprime sur son site, dans un texte11 rédigé en 2013 et modifié par la suite. Il se prononce pour l’élimination des prédateurs de grands herbivores, tout en notant qu’il est plus difficile d’évaluer l’impact de l’élimination de prédateurs qui chassent d’autres prédateurs. Comme Cowen, Tomasik met en avant les alliances utiles hors du milieu animaliste, en prenant cet exemple : « nous pouvons au moins défendre l’élimination des prédateurs là où les éleveurs la réclament pour protéger leurs troupeaux, ou là où les humains voudraient se débarrasser des prédateurs pour s’implanter sur un territoire. » (Tomasik juge plus aisé d’avoir gain de cause dans ces circonstances que là où une opposition risque de se manifester de la part de personnes redoutant que les herbivores se mettent à pulluler.) Tomasik se distingue toutefois des auteurs précédents par la manière dont il justifie son point de vue : « Cette intervention [éliminer les prédateurs de grands herbivores] présente l’avantage de sembler superficiellement bonne aux défenseurs naïfs des animaux (puisque qu’on sauve des herbivores de la prédation), tout en étant bonne d’un point de vue plus sophistiqué qui concerne les petits organismes (parce que les herbivores mangent de la nourriture qui aurait été consommée par de nombreux animaux plus petits, dont beaucoup sont des stratèges r) »12. Ainsi donc, l’avantage principal de l’élimination des prédateurs est de laisser la place à davantage de grands herbivores qui eux-mêmes sont des tueurs et des « empêcheurs de naître » d’autres animaux : non parce qu’ils les agressent mais parce qu’ils les affament. Et même si le processus est cruel pour ceux qui le subissent, Tomasik voit surtout l’effet positif qui résultera de la diminution de la capacité à se reproduire des victimes de la pénurie. Tuer des « lions » est d’abord à ses yeux un bon moyen d’empêcher la venue au monde d’une foule d’animaux promis à une vie détestable.

Si les défenseurs de la mise à mort des prédateurs ont en commun de se positionner sur la base d’une comptabilité des gains et pertes de l’opération, on voit que tous n’ont pas la même façon de faire les comptes.

On trouve ainsi, parmi les écrits RWAS, une série de plaidoyers pour les meurtres altruistes, qu’ils soient consciemment commis pour faire le bien, ou motivés par d’autres raisons (car c’est le résultat qui compte). Il est clair que, sur ce point, il y a divergence avec le mouvement animaliste tel qu’il est aujourd’hui, et que l’écart ne concerne pas des situations qui ne se présenteront que dans un futur lointain. Car, jusqu’à présent, le mouvement de libération animale s’est opposé aux atteintes délibérées des humains à la vie des animaux, tout particulièrement quand elles sont facilement évitables et que des pratiques similaires sont rigoureusement interdites à l’encontre d’êtres humains. Cela cadre mal avec l’approbation de l’exécution sommaire de prédateurs. Pour s’adapter aux préconisations des auteurs précités, le mouvement animaliste devrait sérieusement revoir sa feuille de route. Il commencerait par renier des actions passées qui ont conduit à sauver les vies de prédateurs telles que la campagne qui conduisit à abolir la chasse à courre en Angleterre (qui tuait plus de 20 000 renards par an), ou encore la campagne contre le massacre des bébés phoques. Il arrêterait de s’indigner de la tuerie annuelle des dauphins dans les îles Féroé. Il cesserait de honnir en bloc la chasse et la pêche de loisir pour demander qu’elles se limitent aux espèces carnivores et omnivores. Il défilerait aux côtés des éleveurs pour réclamer l’abattage des loups et des ours. Le mot d’ordre « Non à la fourrure » serait abandonné au profit d’une approche plus nuancée qui, tout en proscrivant l’élevage d’animaux à fourrure, soutiendrait le piégeage de carnivores dans la nature afin de commercialiser leur peau. Les centres qui accueillent des animaux sauvages blessés ou orphelins afficheraient sur leur porte un tableau, avec en rouge les espèces locales d’animaux omnivores et carnivores, et en vert les espèces herbivores et granivores. Le public saurait ainsi que ces centres refusent qu’on leur confie des animaux de la liste rouge. Ou bien les renardeaux et les mouettes continueraient d’être acceptés, mais ils seraient immédiatement dirigés vers la salle d’euthanasie. Il faudrait aussi songer au volet individuel, car l’action collective ou associative n’est pas tout. Après s’être désinhibé de ses préventions infondées envers les crimes nécessaires, chacun pourrait personnellement mettre la main à la pâte. En effet, on trouve des prédateurs de petite taille, vertébrés et invertébrés, dans notre environnement immédiat, qui peuvent être occis sans dextérité ni équipement particuliers. Peut-être faudrait-il éditer des manuels pour apprendre à les repérer et indiquer des méthodes permettant de leur donner une mort rapide.

Est-ce véritablement ce genre d’évolution du mouvement animaliste que souhaitent les RWAS ? Oui, si l’on suit la logique des auteurs précédemment cités, et cela même s’il est douteux qu’ils appliquent personnellement leurs préceptes (Étranglent-ils les chatons férals ? Écrasent-ils les coccinelles ? Pas que l’on sache.) Mais on trouve aussi quelques auteurs RWAS qui excluent explicitement la méthode consistant à tuer les prédateurs (par exemple Vinding, 2016 ; Lepeltier, 2018). Une vaste composante du mouvement RWAS, que je nommerai faute de mieux « l’école espagnole13 », ne mentionne jamais la mise à mort des prédateurs parmi les actions envisagées pour réduire la souffrance dans la nature. Elle ne commente ni en bien ni en mal les arguments de ceux qui le proposent. Ajoutons enfin que, bien qu’il soit canonique dans la littérature RWAS d’insérer des considérations sur les excès et erreurs des croyances concernant l’équilibre des écosystèmes, la conscience des risques liés à des interventions dont les effets en cascade ne sont pas maîtrisés reste présente à l’esprit de nombreux auteurs. C’est probablement un facteur qui les dissuade de plaider pour l’élimination de prédateurs, de crainte de voir les effets négatifs surpasser les bienfaits attendus.

La préconisation de mise à mort des animaux carnivores (ou d’une partie d’entre eux – dans une limite écologiquement soutenable) n’est ainsi ni générale ni marginale dans le mouvement RWAS. Beaucoup d’auteurs ne se prononcent pas sur le sujet. Quelques-uns écartent explicitement cette méthode. Mais, parmi ceux qui l’approuvent, on compte des figures importantes de ce courant de pensée. De plus, ces derniers s’inscrivent bien dans la ligne consistant à beaucoup miser sur la rationalité humaine, et à considérer qu’il appartient aux humains de réguler tout ce qui survient sur la planète. Sur cette base, le raisonnement de plusieurs d’entre eux consiste, semble-t-il, à traiter la question de la prédation comme si c’était l’équivalent d’un dilemme du tramway14 : « si vous ne tuez pas le prédateur, vous tuez (laissez mourir) les proies. » Ils nous invitent à mettre sur le même plan les actions et les omissions, en jugeant les unes et les autres au regard de leurs conséquences. Des études menées sur le dilemme du tramway, ils retiennent sans doute l’idée que c’est un biais (défaut) cognitif qui fait qu’on répugne à faire le bon choix, celui qui fait le moins de victimes, et qu’il faut donc s’employer à corriger le biais en poussant à un sain exercice de la raison. Peu d’attention est portée à ce que nous apprennent ces études sur le ressenti différent lié aux actions et aux omissions et, concernant les actions, à la perception émotionnelle différente des actions causant intentionnellement et directement la mort, et des actions qui la provoquent de façon plus indirecte, ou en tant qu’effet collatéral d’un geste accompli dans un autre but. C’est pourquoi ils ne se demandent pas si pousser les gens à surmonter l’aversion instinctive qu’ils ont à exercer une violence directe ne risque pas d’avoir des effets secondaires indésirables.

Par ailleurs, le choix de contribuer, ou non, à l’extermination des prédateurs ne se prête pas toujours à une lecture en termes de dilemme du tramway ( « ou bien vous vous mobilisez pour activer tel levier tueur de prédateurs, ou bien vous omettez de sauver des vies animales. ») Car ce n’est pas uniquement en termes de ressenti que les actions et les omissions ne sont pas sur le même plan. Elles le sont aussi objectivement, sauf si, comme dans l’histoire du tramway, vous êtes enfermé dans une saynète où les options disponibles se réduisent à « faire ou ne pas faire telle action précise ». Les actions et les omissions ne sont pas sur le même plan parce qu’à chaque action, on peut associer, non pas une, mais une infinité d’omissions : lorsque vous passez une journée à repeindre votre cuisine, vous renoncez à toutes les autres manières dont vous auriez pu occuper cette journée. Quand on considère les choses sous cet angle, on voit mal pourquoi il faudrait privilégier la lutte contre les prédateurs (le casse-tête par excellence puisque proies et prédateurs ont des intérêts vitaux antagoniques), du moins quand cela exige d’investir des ressources qui pourraient être employée autrement pour aider des animaux.

Le fait est pourtant que des années 1990 au début des années 2000, l’attention des RWAS s’est focalisée sur le thème de la prédation. La raison doit en être cherchée dans une caractéristique centrale du mouvement de libération animale : la remise en cause de la consommation humaine de chair animale. Quand on soutient que les humains causent un préjudice aux animaux en les mangeant, on peut difficilement contester que les prédateurs causent un préjudice à leurs proies. On est de surcroît poussé de l’extérieur à penser aux victimes des animaux carnivores. En effets, les récalcitrants à l’adoption d’un régime végétalien objectent en permanence que « les animaux se mangent bien entre eux ». C’est cela qui a produit la polarisation sur le problème de la prédation, et non pas des estimations de faisabilité ou d’efficacité comparées de diverses formes d’intervention dans la nature. Il semble toutefois que cette focalisation appartienne désormais à une époque révolue. Il continue à paraître quelques écrits sur le sujet, mais la jeune génération est tellement imprégnée de l’idée que la vie sauvage est déplorable à tous égards, que la prédation ne lui apparaît plus que comme un aspect du malheur parmi tant d’autres. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir Catia Faria (auteure d’une thèse sur la souffrance des animaux sauvages et l’intervention dans la nature, soutenue en 2016), demander ceci à Jeff McMahan à l’occasion d’une interview :

Catia Faria. Dans votre travail sur la souffrance des animaux sauvages, vous vous être concentré sur le thème de la prédation. Cependant, ces animaux souffrent aussi pour beaucoup d’autres raisons telles que la maladie, la faim, les conditions climatiques, le parasitisme, etc. L’idée que nous devrions aider les animaux affectés par ces autres maux pourrait être mieux acceptée par le public. Pensez-vous que ce serait une raison de lutter contre ces maux plutôt que de s’attaquer à la question plus difficile de la prédation, ou pensez-vous que c’est le travail d’un philosophe de soulever des problèmes moins populaires ?

Jeff McMahan. […] Oui, peut-être que c’est une erreur stratégique ou tactique de se focaliser sur la prédation plutôt que sur la maladie, la faim – les autres causes de souffrance des animaux dans la nature. (Faria, 2015b, p.83)

Moen, un philosophe norvégien d’une trentaine d’années, estime pour sa part que « Cowen et McMahan ne se rendent pas compte que la souffrance causée par la prédation ne représente probablement qu’une petite partie de la souffrance totale dans la nature. » (Moen, 2016, p.93). On retrouve la même idée chez Magnus Vinding, un Danois qui publie sur la question animale depuis 2014 : « … une discussion sur la souffrance dans la nature qui ne traite que de la prédation traduit clairement un déficit de réflexion sérieuse sur le sujet. Après tout, même si la prédation pouvait être éliminée d’un claquement de doigts, la faim et la maladie demeureraient structurelles dans la nature. La masse de souffrance dans la nature resterait d’une ampleur inconcevable. » (Vinding, 2015, section « Intervening in Nature »)

Le recul de l’importance relative accordée à la question de la prédation a rendu moins saillant le conflit entre les prescriptions de certains auteurs désireux de rendre la vie sauvage moins cruelle, et la revendication d’abolition de la chasse humaine portée par le mouvement des droits des animaux. Il n’en reste pas moins qu’il y a incompatibilité entre ce que préconise en la matière une fraction de la mouvance RWAS et une revendication du mouvement de libération animale.

4.3. Doit-on promouvoir le végétalisme ?

La remise en cause de la consommation alimentaire de produits animaux constitue le socle sur lequel est bâti le mouvement de libération animale. À la fois parce que c’est la forme d’utilisation humaine des animaux qui – de très loin – fait le plus de victimes, et parce que les objectifs d’abolition de l’élevage et de la pêche, ou le slogan go vegan, sont les traits distinctifs du mouvement moderne des droits des animaux. Avant son émergence, ces revendications n’étaient pas portées par les associations de protection animale. C’est pourquoi, plus encore que pour les thèmes précédents (expérimentation et chasse), il importe de comprendre si la promotion du végétalisme s’accorde avec la pensée RWAS, afin d’évaluer comment celle-ci s’articule avec le mouvement de libération animale. À première vue, la seule chose à dire est qu’il y a harmonie quasi-totale.

La position exprimée par Eze Paez dans la citation suivante est typique de toute l’école espagnole.

L’objectif du mouvement antispéciste n’est pas uniquement d’en finir avec les maux que les humains infligent aux autres animaux, en particulier à travers les diverses industries d’exploitation animale. Par conséquent, il faut parvenir à rendre la société végane, mais cela ne suffit pas. La discrimination ne consiste pas seulement à causer des préjudices, mais aussi à refuser son aide de façon injustifiée à qui en a besoin. Le spécisme se manifeste aussi dans le refus de porter assistance aux animaux dans des circonstances où nous aiderions des êtres humains. Cela se produit quand ils subissent des maux dus à des événements naturels et non à l’action humaine. […] Un mouvement qui négligerait les intérêts des animaux sauvages simplement parce qu’ils vivent dans la nature serait coupable du même type de discrimination que celui dont il accuse ceux qui acceptent l’exploitation animale. (Paez, 2017b)

Ce qui est caractéristique de l’école espagnole c’est une structure de raisonnement qui invariablement pose en première pierre le refus du spécisme, puis en « déduit » à la fois le devoir de lutter contre la consommation humaine de produits animaux et le devoir de porter assistance aux animaux sauvages15. Si l’on regarde du côté des deux seuls auteurs français qui se sont inscrit dans la durée dans l’optique RWAS, David Olivier et Yves Bonnardel, l’angle d’attaque qui prédomine est la dénonciation des biais idéologiques liés aux conceptions de la nature (même si on retrouve en chemin le spécisme). Là encore, on a affaire à des personnes qui sont très fortement investies, et de longue date, pour l’abolition de l’élevage et de la pêche. André Méry, Clèm Guyard et Thomas Lepeltier, trois autres Français qui ont fait des incursions plus ponctuelles sur la thématique RWAS, sont par ailleurs des auteurs et militants en faveur du véganisme. Et l’on pourrait ainsi multiplier les exemples de personnes qui sont engagées pour la libération animale « classique » tout en investissant un peu ou beaucoup le champ RWAS (Jacy Reese, Tobias Leenaert, Magnus Vinding…).

Le problème est qu’on peut se demander si cette « double casquette » n’expose pas ses porteurs au reproche de se montrer incohérents. Dans un hypothétique futur où les animaux sauvages vivraient dans le bien-être, il serait tout à fait logique qu’ils préconisent le véganisme pour les humains. Mais est-il normal qu’ils mettent tant d’énergie à faire reculer aujourd’hui la consommation de produits animaux ?

Cela n’a rien d’évident pour les quelques-uns qui affirment que les animaux d’élevage sont mieux lotis que les animaux sauvages. Pourquoi faudrait-il beaucoup se préoccuper des moins malchanceux ?

Cela semble très étrange de la part de ceux qui approuvent la mise à mort des prédateurs dans l’intérêt des proies. Pourquoi s’attaquent-ils à la pêche alors qu’une grande partie des animaux pêchés sont des prédateurs ?

Il est vrai que la plupart des RWAS ne rentrent dans aucune des deux catégories précédentes. Mais la quasi-totalité d’entre eux a désormais repris en chœur la thèse de l’écrasante prédominance de la souffrance sur le bonheur dans la nature. Or, la consommation d’animaux pêchés ou issus de l’élevage réduit sans doute les effectifs d’animaux sauvages.

Concernant la pêche, divers indicateurs suggèrent que les prélèvements ont atteint un niveau tel que les populations d’animaux aquatiques décroissent. Par exemple, selon le Rapport Planète Vivante 2016 de WWF (p. 40) l’IPV marin16 a décliné de 44% entre 1970 et 2012, et un encadré (p. 42) précise qu’il y a des raisons de penser que ce chiffre est sous-estimé. Il est vrai qu’on est loin de pouvoir procéder à un comptage exact, et que le WWF reconnaît que les lacunes de ses estimations sont particulièrement fortes concernant la vie marine. Il se peut aussi que les espèces consommées par les humains soient surreprésentées dans l’indice17. Toutefois, la pêche n’affecte pas seulement les espèces visées, à cause des prises accessoires et parce que les techniques de pêche dégradent les habitats aquatiques. De plus, la plupart des espèces de poissons sont potentiellement comestibles, de sorte que l’épuisement de certaines peut conduire à l’exploitation d’autres. L’élargissement des espèces pêchées concerne également d’autres animaux. On peut citer l’exemple du krill, considéré comme un élément-clé des chaînes trophiques et écosystèmes marins, qui a commencé à être exploité dans les années 1970. Ainsi, même si l’on ne peut pas totalement exclure que la pêche ait permis l’augmentation de populations d’espèces non visées, il reste plausible que l’effort de pêche massif ait déjà globalement réduit le nombre d’habitants sentients des océans, et il est probable qu’il puisse le faire à l’avenir en devenant de moins en moins sélectif. Or, les habitants des mers sont, à une écrasante majorité, des animaux qui se reproduisent selon la stratégie r, ceux-là mêmes dont les auteurs RWAS répètent en boucle qu’ils occupent le sommet de la vie effroyable dans la nature. Si la pêche raréfie effectivement la vie marine, comment ces mêmes auteurs peuvent-il préconiser son abolition ? Ne devraient-ils pas plutôt se réjouir de son intensification, du moins tant que la science (aidée par l’acidification et la pollution des océans) n’a pas trouvé d’autre méthode pour empêcher la vie sentiente aquatique ?

Il existe à ma connaissance un seul auteur RWAS qui se soit penché sur la question : Brian Tomasik, dans un texte consacré à la pêche de poissons en mer18. On y retrouve sa façon habituelle de procéder : un travail minutieux pour repérer les facteurs à prendre en compte, et une tentative pour évaluer comment chacun affecte, positivement ou négativement, la masse de souffrance animale. Sa conclusion est, comme souvent, que la quantité d’inconnues fait que le signe de l’impact est incertain. Dans sa tentative d’évaluation, il compte en positif tout ce que la pêche intensive actuelle apporte en termes de réduction des populations, et de destruction des habitats marins. Si Tomasik ne va pas jusqu’à affirmer que la pêche est une bonne chose, c’est parce qu’il est incertain de son effet sur les chaînes trophiques (se peut-il que certains organismes se multiplient mieux grâce à la raréfaction d’autres ?) et surtout parce qu’il craint que, face aux dégâts de la surpêche, on réagisse en intensifiant l’aquaculture et en cherchant à relancer la vie dans les océans en les fertilisant en phytoplancton, ce qui conduirait à nouveau à une abondance de poissons. Tomasik résume sa position en ces termes : « Par prudence, je pencherais pour éviter la consommation de poisson, principalement parce que la capture de poissons sauvages risque d’accroître la pisciculture à l’avenir. » On est loin d’un appel vibrant à mobiliser les forces du mouvement animaliste pour contester la pêche. Comme on pouvait le pressentir, la logique RWAS porte à considérer la pêche en elle-même comme une activité bénéfique, sous réserve qu’elle se montre un moyen efficace de vider les océans de leurs habitants19.

Considérons à présent l’élevage. Il mobilise plus de ressources que si l’alimentation humaine était exclusivement végétale, en raison du détour de production : il faut nourrir les animaux d’élevage avant de se nourrir d’eux. Ceci entraîne un empiètement accru sur des habitats sauvages : des terres sont cultivées pour l’alimentation animale, des forêts sont défrichées pour en faire des pâturages20. Certes, on trouve aussi des animaux sauvages sur les terres dédiées à l’agriculture, mais semble-t-il en nombre bien moindre que dans les espaces naturels. On peut se référer sur ce point à une étude effectuée par Matheny et Chan. En 2005, ces auteurs publient un article dont le but est d’examiner sous un nouvel angle l’argument dit de « la logique du garde-manger » : celui qui consiste à défendre la consommation de produits animaux issus de l’élevage en arguant que, sans elle, les animaux consommés n’existeraient pas. C’est grâce à la consommation de bacon que les cochons ont l’occasion de vivre. Mais est-il vrai que la consommation humaine de viande, lait et œufs permet à davantage d’animaux de vivre sur Terre que si les humains étaient végétaliens ? Telle est la question soulevée par Matheny et Chan. Ils partent du constat que pour élever les animaux de ferme, on cultive des terres pour produire les aliments qu’ils consomment, et on en convertit d’autres en pâturages. Or, la densité d’oiseaux et mammifères sauvages sur ces espaces agricoles est plus basse que dans des forêts ou des prairies non pâturées21. En se basant sur la consommation de bœuf, porc, poulet, lait, et œufs d’un Américain moyen, ils en concluent que le consommateur omnivore permet à moins d’animaux de vivre que le consommateur végétalien (pour le consommateur omnivore, on doit déduire du nombre de vies d’animaux d’élevage dont il est la cause, les vies des animaux sauvages qu’il empêche d’exister), ce qui contredit l’argument de la logique du garde-manger. Ils précisent toutefois qu’un consommateur hypothétique, qui couvrirait la totalité de ses besoins en protéines en mangeant des poulets ou des œufs, permettrait l’existence de plus de vies animales qu’un végétalien. La conclusion des auteurs selon laquelle le végétalisme permet à davantage d’animaux d’exister serait sans doute renforcée si on prenait en compte la contribution des activités agricoles à la pollution des eaux ou à la création de zones mortes dans les mers, lacs et estuaires. Précisons que seuls les oiseaux et les mammifères sont comptabilisés dans les estimations de Matheny et Chan, bien que l’agriculture affecte certainement aussi la vie d’autres classes d’animaux (insectes, amphibiens, reptiles…).

Matheny et Chan n’ont pas conduit leur étude dans le cadre d’une réflexion sur la souffrance des animaux sauvages. Il n’en reste pas moins qu’elle aurait dû amener les penseurs du mouvement RWAS à réfléchir à leur positionnement par rapport au végétalisme. Rares sont ceux qui l’ont fait. On peut citer Thomas Sittler-Adamczewski qui, après avoir exposé combien la vie sauvage est horrible, note en se référant à l’étude de Matheny et Chan : « Il se pourrait même que les végétariens doivent réagir à cet argument en mangeant davantage de viande, puisqu’il faut plus de surface agricole pour nourrir les animaux d’élevage, et que les terres cultivées abritent beaucoup moins d’animaux sauvages au kilomètre carré que d’autres milieux tels que les forêts. » (Sittler-Adamczewski, 2016, p. 96)

Tomasik compte lui aussi parmi les RWAS qui se sont interrogés sur le véganisme. En 2008, il a tenté d’évaluer si, par rapport à un régime omnivore, ce régime réduisait la souffrance totale des animaux (domestiques et sauvages)22. Il connaît l’étude de Matheny et Chan mais utilise une méthodologie différente, notamment parce qu’il ne veut pas négliger l’impact de l’élevage sur les insectes (de même qu’il veut inclure les effets sur le zooplancton dans son étude sur la pêche). Cependant, son souci de prendre en compte les petits invertébrés est une des raisons pour lesquelles il n’arrive finalement pas à se prononcer sur la question « végétalisme versus omnivorisme », faute d’arriver à estimer comment l’élevage de plusieurs espèces d’animaux influe sur le nombre d’insectes (sans compter l’épineuse question du « taux de change » à établir entre des vies d’insectes et des vies d’animaux ayant un système nerveux plus développé). Tomasik n’est pas de ceux qui encouragent le mouvement animaliste à concentrer ses efforts sur la diffusion du végétarisme ou du végétalisme. Il se contente de noter sobrement que « Le signe [positif ou négatif] de l’impact du végétarisme sur la souffrance des animaux sauvages n’est pas facile à déterminer, tant pour ce qui est des effets à court terme sur les animaux sauvages, que pour ce qui est des effets à long terme sur les valeurs de la société. » Il ajoute des conseils à l’attention de qui voudrait consommer de la viande, suggérant de s’orienter de préférence vers les bovins élevés sur pâturage, l’idéal étant les pâturages issus de la déforestation : dans ce cas, on peut en effet affirmer que la consommation de viande permet de réduire significativement la souffrance animale, parce qu’elle met fin à la densité de vie sauvage qu’on trouve notamment dans les forêts tropicales. Il lui paraît donc au moins assuré que certaines formes d’omnivorisme sont plus bénéfiques aux animaux que le végétalisme. Dans un texte plus tardif que celui précédemment cité, Tomasik est encore plus explicite sur les implications de son analyse sur l’opportunité de militer pour l’abolition de la viande. Il écrit en toutes lettres que l’élevage a très probablement un effet positif de réduction de la souffrance dans la nature, et qu’il vaut donc mieux militer pour de meilleures conditions d’élevage et d’abattage que pour la disparition des élevages et abattoirs :

Bien qu’une évaluation complète des impacts positifs et négatifs de l’élevage reste à faire, il y a au minimum une forte possibilité que la production de viande, en particulier de bœuf, soit à solde positif à long terme sur la prévention de la souffrance animale sauvage (Shulman, 2013) et, étant donné le grand nombre d’animaux sauvages, ceci pourrait éclipser les tourments endurés par les animaux de ferme dans les élevages et les abattoirs.

Par conséquent, nous n’avons pas d’autre choix que d’affronter la question des animaux sauvages pour orienter notre action en faveur des animaux. Une exception possible est la pression que nous pouvons exercer en faveur de mesures de bien-être animal qui ne modifient pas significativement l’impact environnemental de l’humanité, telles que l’amélioration de la condition des animaux de laboratoire, ou la diminution de la part des abattages effectués de manière sordide. […] il est bien possible que l’évolution vers « des cages plus grandes » constitue plus clairement un changement positif pour les animaux que l’élimination complète de l’élevage industriel23.

Tomasik et Sittler-Adamczewski sont des exceptions au sein du mouvement RWAS, puisqu’une grande majorité des acteurs de ce mouvement sont par ailleurs fortement investis dans la lutte pour l’abolition de la pêche et de l’élevage. Mais n’est-ce pas cette majorité qui constitue une anomalie, et non pas les quelques voix dissonantes ? Son existence s’explique sans doute par les trajectoires suivies par les personnes qui la composent. Elles ont commencé par remettre en cause le spécisme et, dans le même mouvement, par s’investir énormément dans la lutte contre la consommation humaine d’animaux, dans le sillage du mouvement de libération animale. Puis, elles ont étendu leurs préoccupations aux animaux sauvages et aux maux d’origine non humaine auxquels ils sont exposés. Les deux champs ont été simplement juxtaposés, comme s’ils étaient indépendants, comme si on pouvait se contenter de les additionner et se dire : « d’un côté, j’agis pour faire cesser l’exploitation animale et c’est bien ; de l’autre, je pousse à réduire la souffrance des animaux sauvages, et c’est bien aussi. » La plupart des RWAS ont fait comme s’ils ne voyaient pas que les deux secteurs formaient des vases communicants (parce qu’il est vraisemblable que l’élevage et la pêche réduisent le nombre d’animaux sauvages24), de sorte que les avancées dans le premier pouvaient induire une aggravation de la situation dans le second.

Il est ainsi délicat d’établir un diagnostic sur la compatibilité entre la thématique du courant RWAS et la revendication centrale portée par le mouvement de libération animale. Si l’on fait une lecture en termes sociologiques, on dira que la concorde est quasi-parfaite, puisque la plupart des RWAS comptent parmi les acteurs qui cherchent à affaiblir les industries animales. Le problème est qu’il y a un doute sérieux sur la cohérence entre les deux aspects de leur engagement : non pas en raison de leur appel à se soucier des animaux sauvages, mais à cause de leur ralliement massif au dogme de l’écrasante prédominance de la souffrance dans la nature, et de leur ardeur à le diffuser. Le fait est qu’ils ont mis en circulation une idée susceptible de décourager l’engagement pour les droits des animaux, pour peu qu’il soit avéré que l’élevage et la pêche contribuent à raréfier la vie sentiente sauvage. Ils ont créé de quoi ébranler la conviction que l’on fait plus de bien que de mal en œuvrant à la disparition des élevages et des flottes de pêche, du moins tant que l’on n’a pas remédié à la souffrance des animaux sauvages. Mais que faudrait-il faire pour y remédier ? C’est la question que nous allons aborder à présent.

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Notes

  1. Une exception doit peut-être (?) être faite pour Thomas Lepeltier. Dans un texte paru en 2018, « Faut-il sauver la gazelle du lion ?», il plaide pour l’élimination de la prédation et évoque (brièvement), parmi les pistes possibles, l’intervention sur le génome des prédateurs afin de leur ôter l’envie de chasser et de les rendre aptes à se nourrir de plantes, sans s’appesantir sur les méthodes que les scientifiques devraient utiliser pour transformer les lions en herbivores. Or, Lepeltier est par ailleurs l’auteur d’une contribution à l’ouvrage collectif Peter Singer et La Libération animale, paru en 2017, dans laquelle il défend l’idée que Singer devrait adopter une position totalement abolitionniste en matière d’expérimentation animale, cette position étant, selon Lepeltier, compatible avec un raisonnement utilitariste fondé sur la comparaison des coûts et des bénéfices. L’auteur présente son raisonnement en termes généraux mais, à l’époque où il rédige cette contribution, il a sans doute en tête l’expérimentation telle qu’elle existe actuellement, et non des travaux destinés à rendre les lions herbivores. C’est pourquoi j’ignore s’il faut (ou non) rapprocher les deux textes, et en conclure que Lepeltier imagine que la reprogrammation des prédateurs est envisageable sans une masse d’expériences pratiquées sur des animaux.
  2. Technique qui permet à un gène d’être transmis avec certitude à la descendance chez les espèces à reproduction sexuée et ainsi d’augmenter sa prévalence dans l’espèce au fil des générations. Jusqu’à présent cette technique n’a été employée qu’en laboratoire, en attendant une éventuelle autorisation d’application dans la nature, après évaluation des effets indésirables qu’elle peut avoir sur les écosystèmes. Un exemple d’application envisagé aujourd’hui est la modification génétique des moustiques qui transmettent la dengue ou la malaria.
  3. Précisons que Johannsen est philosophe, pas biologiste ou écologue. Ses scénarios ne sont rien de plus que ce qui lui vient à l’esprit en imaginant ce qu’on pourrait faire si le forçage génétique était un levier permettant de donner les caractères que l’on veut aux animaux et aux plantes.
  4. La citation se trouve page 16 de la version de l’article déposée par Johannsen sur le site academia.edu, qui est accessible gratuitement. Je ne peux pas indiquer la page correspondante dans la revue où l’article a été publié faute de l’avoir achetée.
  5. Ng se doute que le sujet est ardu. On le devine d’après ce passage inclus dans un article où il répond aux commentateurs du texte publié dans Animal Sentience en 2016 : « La question du consentement et des droits pour les animaux ou les humains soulève des questions difficiles qui dépassent le cadre de cette réponse. En bref, je reste partisan du welfarisme et de l’utilitarisme, mais les questions associées sont complexes, et incluent des effets indirects et des différences de capabilités en matière de consentement, responsabilité et droits. » (Ng, 2016b, p.13)
  6. à supposer qu’elle soit possible et maîtrisable, ce que la simple évocation du forçage génétique est loin d’assurer.
  7. Avec une exception pour les expériences pouvant faire progresser la médecine vétérinaire, où l’on trouve des animaux dans les deux rôles. Dans ce cas, la pratique est moins spéciste, mais il reste vrai que les individus qui pâtissent des expériences ne sont pas ceux qui bénéficient des résultats de la recherche. La question de la légitimité de faire subir des torts majeurs à certains dans l’intérêt d’autres qu’eux reste donc entière.
  8. Une traduction de ce chapitre a été publiée dans le n°14 des Cahiers antispécistes (décembre 1996).
  9. Il est notamment évoqué dans un article souvent cité du philosophe anglais Jeff McMahan publié dans The New York Times le 19 septembre 2010, sous le titre « The Meat Eaters ».
  10. Dans un genre voisin du « tueur humain fou » de Cowen, David Pearce compare les animaux carnivores à des « psychopathes vicieux » humains. (The Hedonistic Imperative, 1995, § 1.10)
  11. Article « Applied Welfare Biology and Why Wild-Animal Advocates Should Focus on Not Spreading Nature » du site Essays on Reducing Suffering, consulté le 1er novembre 2017. Voir en particulier les sections « Systematic safe bets » et « Should we eliminate predators ? ».
  12. Tomasik, op. cit., section « Systematic safe bets ».
  13. Par « école espagnole » j’entends un ensemble d’auteurs dont les thèmes et le style semblent fortement inspirés par la pensée d’Oscar Horta. C’est aussi le type d’analyses que l’on trouve sur le site Animal Ethics. Précisons que si Horta est espagnol, une partie des auteurs de cette mouvance ne le sont pas.
  14. Pour une présentation détaillée des études psychologiques sur le dilemme du tramway dans ses nombreuses variantes, voir Joshua Greene, Moral Tribes, Penguin Press, 2013, chapitre 4.
  15. La première « déduction » semble cependant plus solide que la seconde. En effet le cannibalisme a quasiment disparu des sociétés humaines, tandis que la consommation de chair animale perdure. Par contre, pour pouvoir dire que le défaut d’assistance aux animaux sauvages relève (principalement ou exclusivement) du spécisme, il faudrait qu’il soit avéré que les humains, dès lors qu’ils sont en mesure de le faire, se précipitent au secours d’autres humains lorsque ces derniers sont victimes de la faim, de la maladie, de la guerre, etc., ce qui n’est évidemment pas le cas. Soit les tenants de l’école espagnole ont une vision très optimiste de la solidarité intra-humaine, soit ils font référence à des faits réels mais de portée plus modeste : le fait que les humains expriment volontiers verbalement l’idée qu’il est bien de secourir son prochain humain, ou bien le fait que davantage de ressources sont consacrées à secourir des humains dans le besoin que des animaux nécessiteux. Une autre possibilité est simplement de considérer que l’école espagnole a tort de vouloir trop imputer à la discrimination spéciste.
  16. L’IPV (indice planète vivante) est un indicateur agrégé portant sur des populations d’animaux. L’IPV marin inclut des données concernant des effectifs de poissons, amphibiens et oiseaux, mais avec une nette prédominance des poissons.
  17. Le Rapport Planète Vivante Océans 2015 de WWF indique (page 7) que l’effectif des espèces de poissons consommés a chuté de 50% entre 1970 et 2012 et précise que l’IPV inclut 930 espèces de poissons dont 492 sont consommées.
  18. « How Wild-Caught Fishing Affects Wild-Animal Suffering », article publié le sur le site Essays on Reducing Suffering en décembre 2015 et retouché par la suite. Consulté le 11 novembre 2017.
  19. On pourrait mentionner, dans un style voisin, un texte de Georgia Ray publié sur le site Wild-Animal Suffering Research le 28 février 2018 sous le titre « Are seafood substitutes good for wild fish ? ». Plutôt que d’une étude, il s’agit de notes préliminaires pour tenter de répondre à la question de savoir si le développement des substituts végétaux à la chair d’animaux aquatiques réduit la souffrance des animaux sauvages. Dans cette note, Ray n’y apporte aucune réponse du tout. Le texte est essentiellement constitué de constats d’incertitude et de données manquantes sur tous les sujets balayés. Ray aborde aussi la question de la pisciculture, là encore pour indiquer qu’elle n’est pas en mesure de dire si la vie des poissons d’élevage est pire ou meilleure que celle des poissons sauvages. (Article consulté le 28 février 2018)
  20. Les élevages aquacoles ont eux aussi un impact sur la vie sauvage. Les poissons d’élevage sont nourris pour partie avec des produits de la pêche et pour partie de végétaux issus de l’agriculture. Les élevages de crevettes ont conduit à défricher de vastes surfaces de mangrove.
  21. Les auteurs se réfèrent à des estimations tirées d’une étude publiée en 2003 pour la densité d’oiseaux et, faute d’étude équivalente pour les mammifères, ils font l’hypothèse que la densité de mammifères est 2,25 fois supérieure à celle des oiseaux, tout en expliquant qu’il y a des raisons de penser que ce coefficient de 2,25 est trop bas, et donc qu’ils sous-estiment le nombre de mammifères par kilomètre carré dans les espaces naturels.
  22. dans son article « How Does Vegetarianism Impact Wild-Animal Suffering? » publié sur le site Essays on Reducing Suffering en 2008 et modifié par la suite. Consulté le 11 novembre 2017.
  23. Tomasik, article « Habitat Loss, Not Preservation, Generally Reduces Wild-Animal Suffering », publié sur le site Essays on Reducing Suffering le 7 février 2016 et modifié par la suite. Consulté le 17 novembre 2017.
  24. Des travaux récents accentuent la plausibilité de cette hypothèse. Une étude menée en Allemagne (Hallmann et al., 2017) a montré une chute de la biomasse d’insectes volants de 75% en 27 ans. L’intensification de l’agriculture, à travers notamment l’usage de pesticides, est soupçonnée de compter parmi les facteurs explicatifs importants de cet effondrement, les autres facteurs examinés par les chercheurs ne pouvant rendre compte d’une baisse aussi forte. Le 20 mars 2018, le CNRS faisait part dans un communiqué de presse des études montrant un déclin massif du nombre d’oiseaux dans les campagnes françaises (une chute de 33% depuis 2001), parallèlement au déclin du nombre d’insectes, et pointait clairement la responsabilité des pratiques agricoles, en particulier l’usage de pesticides. (Rappelons que l’élevage est un facteur important de l’extension des cultures. Par exemple, la moitié des céréales produites en France sont destinées à l’alimentation animale.) Au niveau mondial, le Rapport Planète Vivante 2016 de WWF (dont nous avons cité plus haut les chiffres concernant l’IPV marin) estime à 38% la chute de l’IPV pour les vertébrés terrestres entre 1970 et 2012, et cite, entre autres, parmi les causes de cette diminution, les pertes et dégradations de l’habitat liées à l’agriculture. Une étude de grande ampleur publiée dans PNAS (Ceballos et al., 2017), incluant la moitié des espèces de vertébrés terrestres connues, a conclu que les effectifs de 32% d’entre elles étaient en déclin. Les auteurs ont plus particulièrement examiné 177 espèces de vertébrés et conclu que les effectifs de 40% d’entre elles sont en déclin sévère. L’originalité de leur approche a consisté à ne pas se focaliser sur les espèces menacées, ce qui a permis de montrer que le déclin touchait aussi des espèces considérées comme communes. On peut citer encore la « Mise en garde des scientifiques à l’humanité » (World Scientists’ Warning to Humanity) publiée dans la revue BioScience le 13 novembre 2017, signée par plus de 15 000 chercheurs, qui alerte sur la situation critique de la planète. Ils font état en particulier de la « défaunation », et proposent entre autres remèdes de « promouvoir une réorientation du régime alimentaire vers une nourriture d’origine essentiellement végétale ». (Une traduction française de cet appel a été publiée par Le Monde le 13 novembre 2017 sous le titre « Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète ».) Les rapports de l’IPBES sur le déclin de la biodiversité et la dégradation des sols au niveau mondial, rendus publics respectivement le 23 mars et le 26 mars 2018, vont dans le même sens (voir site de l’IPBES).