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Cahiers antispécistes n°14 - décembre 1996

Revue de presse (extraits)

Les Cahiers du GRIF

Cette revue féministe a publié (printemps 1996) sous le titre « Chair et viande » un recueil d'articles très divers sur ce vaste thème. Certains ne parlent en fait pas des animaux, certains sont engagés et d'autres pas... De façon générale, les textes soulèvent de nombreux points de réflexion et d'analyse intéressants (la transsubstantiation, l'usage de la viande et des corps humains ou d'autres animaux dans l'art, le dégoût...), mais qui restent souvent à l'état d'esquisses. Le thème est loin d'être épuisé ! Deux articles, particulièrement, nous intéressent directement.

- Dans « Les femmes en boucherie, quelques tabous culturels », Rosemary Pringle et Susan Collings, sans prendre parti envers le spécisme, constatent que les femmes sont écartées du métier de boucher, réservé aujourd'hui comme depuis des temps immémoriaux aux hommes. Elles tentent d'analyser pourquoi, de démêler quels peuvent être les enjeux de cette mise à l'écart ; notamment, « les associations entre femme, objet sexuel, et chair peuvent être considérées comme la clé de l'exclusion des femmes en boucherie ». Elles réfléchissent aussi sur les comparaisons entre chairs animales et humaines, meurtres d'humaines et d'autres animaux, sur la question des tabous alimentaires, des dégoûts, etc. Curieusement, bien qu'elles notent que « les études féministes s'intéressent de plus en plus au corps en tant que site privilégié de la reproduction des rapports de pouvoir », elles ne cherchent guère à développer d'analyses en termes de domination. Mais leurs autres analyses ouvrent bien des pistes de réflexion.

- Le second article, « Droits des humains, droits des animaux » de Luisella Battaglia, professeure de philosophie morale à l'université de Gênes et directrice du Centre de bio-éthique, n'a guère d'équivalent en France en dehors des CA et de quelques revues anarchistes : il est explicitement antispéciste et prône l'alliance de l'antispécisme et du féminisme ! Il commence par un historique rapide (et non exhaustif) des personnes qui ont uni les luttes pour les droits des femmes et des animaux. Il analyse aussi rapidement comment le dualisme ontologique esprit/matière sert à fonder les hiérarchies, le patriarcat, le naturalisme et cette fameuse différence humain/animal qui est censée justifier l'exploitation.

L'article présente Mary Wollstonecraft et sa Vindication of the Rights of Women [1] (1792) que le philosophe Thomas Taylor avait à l'époque raillées en écrivant une Vindication of the Rights of Brutes ( « Défense des droits des bêtes ») donnée comme la conséquence logique de la première. Puis l'auteure nous parle de John Oswald qui à la même époque « se définit comme "un citoyen de la république révolutionnaire", "membre du Club des Jacobins" et propose explicitement d'étendre les droits, non seulement aux femmes et aux Noirs, mais aussi aux animaux », et de Henry Salt qui publie un siècle plus tard, en 1892, Animal Rights Considered in Relation to Social Progress :

Salt replace l'affirmation des droits des animaux dans le mouvement plus vaste et victorieux de la revendication des droits humains contre les préjugés antiégalitaires, s'engageant ainsi dans les traces d'Oswald et dans le sillage ouvert par les travaux de Tom Paine et de Mary Wollstonecraft.

Puis, dans une section intitulée « Femmes, nature, animaux : une nouvelle alliance », L. Battaglia pose que l'éco-féminisme, en remettant en question le rapport patriarcal traditionnel Humanité/Nature, s'attaque radicalement à nos comportements dominateurs envers les autres animaux. De notre côté, cela ne nous semble pas évident que ce mouvement éco-féministe (qui bien que les reformulant fait siennes les notions de « Nature » et d' « Humanité ») puisse véritablement s'attaquer à l'idéologie spéciste, fondamentalement basée sur le naturalisme.

L'auteure introduit ensuite l'idée de spécisme :

(...) de même est-il possible, sur un plan proprement politique, de trouver un lien entre féminisme et animalisme, au sens où tous deux se veulent des mouvements de libération. Le philosophe Peter Singer introduit explicitement ce parallèle en affirmant que le mouvement de libération des animaux entend également mettre un terme aux préjugés et à la discrimination fondés sur un critère - celui de l'espèce - aussi vide et arbitraire que ceux de race et du sexe. On constate à partir de là qu'il existe une analogie étroite entre racisme, sexisme et « spécisme » (...).

Et de conclure, en citant Carol Adams :

(...) on peut rattacher l'exploitation et la violence subies par les animaux aux différentes formes d'oppression que les hommes ont au cours des siècles exercées sur les femmes et qu'il faut combattre pour créer une société nouvelle. Faute de prendre en compte l'importance du mouvement pour la défense des droits des animaux, le mouvement féministe risque de reconduire le modèle d'exploitation patriarcal qu'il combat [2].

Les Cahiers du GRIF : 3 cité Angoulême, 75011 Paris (95F le numéro).

Marie Pas Claire

Dans le numéro de mai 1996 (n°8) de cette revue féministe, grand public et pourtant radicale, sérieuse et pourtant pleine d'humour, on trouve des articles sur la non-mixité, l'homophobie, la différence des sexes, la bisexualité, la situation critique des femmes en Algérie, la persécution des sorcières au XVe siècle... mais aussi une « chronique de la haine ordinaire », une rubrique « point de vue, images du monde » et une revue de presse. Et dans cette dernière ? Une recension élogieuse des Cahiers antispécistes ! Ne résistons donc pas au plaisir d'en citer un bout :

Antispécistes ? Si, si, antispécistes, y'a pas de faute d'orthographe. Vous connaissez l'anti-racisme et l'anti-sexisme [...] J'entends une voix dans le fond qui dit « Oui, mais c'est quand même pas la même chose qu'avec le sexisme. C'est des animaux, quoi ! Y'a des différences biologiques ! » (et curieusement j'entends en écho le fameux « C'est quand même pas la même chose qu'avec le racisme ! Y'a des différences biologiques entre les hommes et les femmes, quoi ! »).

Certes, il y a des différences. Et en plus, c'est vrai, les animaux n'ont pas le même degré de conscience et d'intelligence que nous. Et alors ? Ça les empêche de souffrir ? D'avoir envie de vivre ? Pas vraiment, non. Si ces idées vous surprennent, vous intéressent ou vous énervent, allez-y donc voir de plus près. Jetez un coup d'oeil sur les Cahiers Antispécistes. Ils proposent des réflexions de fond vraiment enrichissantes, des infos militantes [...] Et en plus, ce sont des gens très recommandables, pro-avortement, profondément antinaturalistes et qui ont déjà publié pas mal d'articles sur les liens entre antispécisme et féminisme.

Marie Pas Claire (20F), 86 bd de Charonne, 75020 Paris. Courrier électronique : 101471.702@compuserve.com.

Animals and Women:
Feminist Theoretical Explorations
[3]

Il y a quelque temps déjà qu'est paru ce recueil de textes rassemblés par Carol J. Adams [4] et Josephine Donovan, militantes féministes et pour la libération animale qui essayent d'analyser les solidarités entre les deux oppressions, mais aussi entre les luttes antisexiste et antispéciste.

Nous espérons vous reparler plus en détail de ce livre quand nous l'aurons lu. Il y a trois ans, les Cahiers avaient été pressentis pour fournir un texte, mais cela n'avait pu se réaliser pour des problèmes de traduction.

Animals and Women est disponible contre 20$ US port compris auprès de United Poultry Concerns, P.O. Box 59367, Potomac, MD 20859 États-Unis.

La libération animale à la radio et à la télévision

Au début de l'année il y a eu au moins deux émissions qui ont donné la parole à des antispécistes. Sur Canal +, Isabelle James a pu parler très clairement et suffisamment pour expliquer les positions antispécistes. Sur France Culture, le 9 mars, l'émission Répliques animée par A. Finkielkraut aurait été plutôt positive, mais nous n'avons pas d'autres renseignements (appel donc à nous en communiquer).

Tic-Tac

La revue Tic-Tac (n°7, été 1996) a publié un article de Philippe Laporte, « Lettre ouverte aux antispécistes : l'autorité de l'argument éthique », qui dénonce comme arbitraire la notion d'éthique et en appelle à un antispécisme sans références morales. Il s'agit d'une version abrégée d'un texte que Philippe nous avait proposé mais que nous n'avions pas voulu publier, une réponse nous demandant trop de temps et d'énergie. Nous nous bornons donc à indiquer que la discussion est lancée. Les participantes au camping antispéciste de Nantes de cet été (voir p. 52), en désaccord avec l'article, ont exprimé la volonté d'y répondre.

Le texte complet est disponible contre 6 F en timbres chez P. Laporte, Poste restante, PTT Lyon Terreaux, 3 rue du Pdt Herriot, 69001 Lyon.

Science Sévit...

Le numéro de septembre 1996 de la revue de vulgarisation Science & Vie nous propose un article sur la caulerpe (une algue qui envahit la Méditerranée et menace la faune et la flore) qui sous couvert de se faire l'écho des discussions scientifiques sur le sujet, se vautre dans le délire naturaliste. Le titre est déjà un monument, qui n'a d'égal que le texte :

Phénomène naturel ou risque majeur ?

Faut-il détruire la caulerpe ? Cela dépend... S'il s'agit bien d'un envahisseur échappé des aquariums du Musée océanographique de Monaco lors d'une vidange malencontreuse en 1984, il est urgent de s'atteler à son éradication. En revanche, s'il s'agit d'un processus naturel, on aurait tort de s'affoler : laissons faire la nature.

C'est nous qui nous affolons. Science & Vie nous a habituées à de tels errements, et il est significatif que le naturalisme fleurisse ainsi dans une revue qui se réclame avec insistance du scientisme le plus étroit. De plus, il semblerait que ce soient certains scientifiques qui à l'origine posent le débat en ces termes :

« ...selon le cas, une vaste entreprise de décontamination serait ou non justifiée » estime le Pr. Jean Rosa, rédacteur en chef des Comptes rendus de l'Académie des sciences.

Ainsi, le même phénomène, selon qu'il est ou non d'origine naturelle, devient catastrophique ou « normal », neutre. Cela rappelle la revue écolo Combat Nature qui titrait, sur la chasse aux dauphins : « Chasse ou tuerie ? » Chasse = traditionnel, naturel, normal ; tuerie = artificiel, à condamner. Les photos étaient pleines de cadavres, mais cela ne suffit pas pour condamner cette pratique, car peut-être avait-elle l'aval de Nature...

De même, ici, quels que soient les problèmes que pose la caulerpe, si son origine est naturelle, on doit « laisser faire la nature ». Le résultat, quel qu'il soit, sera naturel, donc à accepter. Cette religion de la « Nature », croyance en l'existence d'un ordre naturel et acceptation de cet ordre, n'a évidemment rien de scientifique. Mais il s'agit bien de la religion moderne la plus omniprésente, et aussi la plus inaperçue : elle est rarement identifiée comme telle, alors même que les naturalistes sont souvent amenées à soutenir les positions les plus loufoques.

Et si la bombe atomique s'avérait « naturelle » ?

Science Sévit (bis)

Dans le même numéro, on lit, sous le titre sexiste de « La belle et les loups », que B. Bardot a inauguré un parc d'observation scientifique des loups en Lozère. Pourquoi les loups ? « Il faut espérer qu'une meilleure connaissance du loup contribuera à lui faire regagner dans nos coeurs la place qu'il n'aurait jamais dû perdre » dit-elle. Mais cette belle place dans nos coeurs, de beau prédateur sauvage, le loup l'a-t-il jamais perdue ? Sur le service Internet de l'ARRS, qui regroupe toutes les associations américaines animalistes, il y a une rubrique « loups », qualifiée de « thème particulièrement populaire ». Auprès des lapins ?

Le Monde Diplomatique...
et le monde animal

À propos de la « maladie de la vache folle », deux articles sont parus dans Le Monde Diplomatique de mai 1996. Le premier, « L'oubli de l'animal » de Florence Burgat, est atypique du fait qu'il rappelle que ce sont les bovins les premiers concernés et qu'il en profite pour poser le problème de l'éthique et de l'alimentation carnée en général : « On ne peut déplorer les conditions de vie et de mort des animaux de boucherie et, en même temps, cautionner ces conditions par une consommation quotidienne de viande. Ceux qui s'en abstiennent pour des raisons éthiques font preuve de sens critique à l'égard d'un très fort suivisme social et manifestent ainsi une réelle volonté de voir émerger une réflexion sur ce qu'est véritablement la viande. » Nous sommes bien heureux de lire cela dans une revue aussi importante.

Le second article, de B. Hervieu, s'intitule « Transgressions et risques majeurs » et nous ressert le poncif habituel : si on transgresse une loi (en l'occurrence, une « loi de la Nature »), on risque gros. Dans le cas présent, cette transgression s'appelle « perversion de la chaîne alimentaire naturelle » ! Transgression, perversion, démesure, etc. Quand donc substituera-t-on à cette mystique une réflexion éthique rationnelle ?

Arkangel

La revue Arkangel, de l'Animal Liberation Front anglais, a publié récemment le texte de David Olivier, « AIDA et l'apolitisme » (CA n°9, p. 22 à 30), qui avait été réécrit pour l'occasion afin de traiter des problèmes d'une façon générale et sans plus se référer en particulier aux positions de l'AIDA.

Le même texte a également été traduit bénévolement en allemand par une traductrice professionnelle d'Outre-Rhin, puis envoyé aux diverses associations allemandes un tant soit peu proches de l'antispécisme français.

Insolite : un bon cochon est un cochon heureux

C'est sous ce titre que Courrier International de février 1996, reprenant Der Spiegel de Hamburg, décrit de nouvelles fermes d'élevage où « chaque porc peut faire ce qu'il lui plaît à tout moment », ce qui entraîne une meilleure santé, une réduction du temps d'engraissement, une baisse des coûts, et une chair meilleure : « Ils déambulent librement, se courent après joyeusement, se frottent contre les colonnes de récurage ou encore se roulent dans des niches pleines de paille. Et puis, courir ça donne faim, et c'est avec avidité qu'ils se jettent sur la nourriture des mangeoires automatiques. » On reconnaît là comment et pourquoi le capitalisme se soucie du bonheur des êtres...

Mais, au fait, pourquoi donc le fait qu'un cochon heureux soit meilleur paraît-il insolite ? Ne serait-ce pas, comme nous l'avons plusieurs fois analysé dans les Cahiers, que notre sentiment premier serait plutôt que plus un animal souffre, plus sa chair sera bonne à déguster ?

« Du droit des poules à ne pas souffrir :
jusqu'où suivre
les défenseurs des animaux ? »

C'est le titre d'un article du Financial Times repris par Courrier International d'août 1995, qui est globalement contre les actions animalistes, mais qui nous apprend qu'en Europe, et surtout Outre-Manche, de nombreuses mesures réformistes de garantie du bien-être des animaux sont adoptées : « les ministres de l'Agriculture européens ont redéfini la réglementation sur le transport du bétail », le syndicat national des agriculteurs britanniques s'y met aussi, les supermarchés élaborent leurs propres règles déontologiques, etc. Évidemment, on n'en est pas encore à accorder le droit à ne pas être exploité, à ne pas être tué...

D'ailleurs, selon Ouest-France (15/7/1995), le président de la Chambre régionale d'agriculture de Bretagne a déclaré : « Je n'accepterai jamais une idéologie qui inverse la hiérarchie des valeurs et placerait le bien-être de l'animal avant celui de l'homme. » Mais jusqu'où iront-ils, mon bon monsieur ? Ils iront jusqu'à...

...écrire à Campagnes Solidaires

Campagnes Solidaires de décembre 1996, organe national de la Confédération Paysanne, gros syndicat de petits paysans anti-productivistes, publie dans son courrier des lecteurs une présentation de l'antispécisme. Il avait été initialement proposé que notre texte passe en page Débat, mais le comité de rédaction l'a finalement jugé malvenu. C'est que la plupart des petits paysans sont des éleveurs... Merci quand même pour l'ouverture d'esprit.

Écologie contre libération animale

Simon Charbonneau, maître de conférence et président d'Aquitaine Alternatives, a publié un long texte dans Sud-Ouest Nature n.88, intitulé Écologie et zoocentrisme, qui s'en prend violemment à la libération animale (assimilée, donc, au zoocentrisme). « Ces positions zoocentristes raisonnables que tout un chacun devrait faire siennes [il parle par exemple des poncifs consensuels contre la vivisection] peuvent toutefois aussi déraper vers la zoolâtrie et le fétichisme de l'animal. Je pense ici aux thèses les plus intégristes du mouvement de libération de l'animal qui amalgament la valeur de la vie humaine à celle des animaux et tendent à considérer l'animal comme un sujet moral. » Tout le long de son texte, il présente la libération animale comme purement émotionnelle et sans fondements éthiques rationnels : la rationalité serait par contre illustrée par l'humanisme et l'écologie ! Il poursuit en invoquant, sans que cela concerne beaucoup la libération animale, l'anthopocentrisme et le spécisme des « protecteurs des animaux », qui se soucient plus des écureuils que des rats, plus des rouges-gorges que des corbeaux, etc., alors qu'il faut tout considérer d'un oeil écologiste, et les mettre sur un même plan avec les espèces de plantes ou de champignons menacées. « Enfin, dernier reproche, et non des moindres, ce courant de l'écologisme (!?) a toujours cherché à occulter le rôle de la mort comme condition de la vie dans le fonctionnement de l'écosystème. [...] Pourtant lorsque l'un des poussins de rapaces élimine l'autre, quand le lion ou l'ours dévore un de ses enfants ou encore que la femelle du brochet dévore son compagnon, il ne s'agit rien moins que de l'éthologie ordinaire de l'animal sauvage. La poursuite du cerf traqué par une meute de loups n'est qu'une illustration de la cruauté qui préside aux rapports existants entre les animaux sauvages. Cette cruauté accompagne inévitablement la prédation animale qui remplit une fonction indispensable de régulation des populations au sein des écosystèmes. Vouloir alors plaquer des notions morales et affectives spécifiques de la culture humaine comme on le rencontre trop souvent dans les magazines et les émissions consacrées aux animaux, c'est participer à une entreprise de mystification. » Ici comme ailleurs, c'est la bonne marche du Tout qui importe, sans qu'on se soucie jamais des intérêts des individues. Si c'est naturel, il n'y a plus à vouloir introduire quelque considération éthique que ce soit. Il poursuit d'ailleurs en fêtant les vertus de la régulation des milieux (ce en quoi nous sommes d'accord), mais bien sûr en étant prêt à tuer pour un oui ou pour un non. Il conclut : « Au terme de cette analyse, je dirai que l'écologie sérieusement appréhendée ne peut se permettre de tomber dans l'arbitraire du sentiment sous peine d'intolérables dérives idéologiques et de redoutables impasses politiques. » Lisons « le raisonnement éthique » à la place de « l'arbitraire du sentiment », et voilà qui est clair !

« Droits des animaux, droits de la nature ? »

C'est sous ce titre que M. Terestchenko, dans son livre Philosophie et politique, ouvre (et referme) la question des droits des animaux. Se référant à Jeannine Chanteur et à Rousseau, il argue que « la notion de droits de l'animal est un non-sens » parce que « l'homme seul, parmi tous les vivants, a des devoirs ». À défaut de la justice, il invoque donc la pitié des humains pour « ne pas faire souffrir inutilement ». La critique de ces arguments a déjà été faite dans les Cahiers. Mais surtout, l'auteur explique que « accorder des droits de l'animal [...] c'est reconnaître, sans le dire, une égalité entre l'homme et l'animal : voici l'animal humanisé, ou, au choix, l'homme animalisé, c'est-à-dire, déshumanisé. » Il faut sauvegarder aux humains leur dignité particulière, cette valeur qu'ils se donnent et qui ne garde une telle valeur que parce qu'elle reste un privilège, en refusant tout élargissement. Dans son argumentation, les animaux sont évidemment assimilés à la Nature, et c'est ce qui leur interdit d'être respectables. Son humanité, le fait d'être justement sorti de la Nature, voilà ce qui au contraire est censé donner toute sa distinction à l'être humain. Chez les humanistes, il y a l'Être (humain) et les sous-êtres, naturels. Le naturalisme est un essentialisme.

Michel Terestchenko, Les Fondamentaux : Philosophie et Politique 2 : Éthique, science et droit, Hachette.

[1] Traduction française Défense des droits de la femme, Petite Bibliothèque Payot, 1976. Nous avons déjà mentionné M. Wollstonecraft à propos de William Godwin, dans l'article sur Bentham dans les CA n°13 (p. 45).

[2] Carol Adams, The sexual Politics of Meat: A Feminist Vegetarian Critical Theory, Cambridge, Polity Press, 1990

[3] « Les animaux et les femmes : explorations théoriques féministes ».

[4] On trouvera un texte de C. Adams, « Anima, animus, animal », dans les Cahiers antispécistes n°3, avril 1992.

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