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Cahiers antispécistes n°22 - février 2003

Le roseau magique (L’os chantant)

Ce conte est issu de l’œuvre des frères Grimm. Nous avons repris la trame de fond (l’histoire du sanglier) mais nous l’avons traité tout autrement. Le dénouement tragique du conte classique (à la fois pour le jeune homme et le sanglier) a été écarté.

Corinne

Il y avait autrefois un pays où les paysans se plaignaient d'un sanglier, qui traversait leurs champs et retournait leurs cultures. Le roi avait promis une grande récompense à celui qui les délivrerait de ce fléau.

Or, dans ce pays, vivaient deux frères, qui se déclarèrent prêts à tenter l'aventure. L'aîné des frères, rusé et méchant, n'agissait que par profit, mais le cadet, doux et généreux, y allait par bon cœur. Le roi les fit conduire en des points opposés de la forêt : l'aîné partit du côté du soir, le cadet, du côté du matin.

Alors qu'il s'enfonçait dans la forêt profonde, le cadet rencontra un petit lutin, qui tenait un roseau dans sa main et qui lui dit : « Prends ce roseau, et quand tu seras près du sanglier, souffle dedans. Tu pourras ainsi comprendre son langage ».

Le cadet prit le roseau, remercia le lutin et continua son chemin.

Peu de temps après, il aperçut le sanglier, couché au pied d'un chêne. Sans attendre, il souffla longuement dans le roseau, et à son grand étonnement, il entendit le sanglier parler, et il comprenait ses paroles !

« Pitié, ne me tue pas », lui dit le sanglier. « Je me suis blessé hier à la clôture, et je peux à peine marcher ».

« Rassure-toi », lui répondit le cadet, « je ne te veux pas de mal, mais seulement savoir pourquoi tu traverses toujours les champs des hommes ».

« Comment faire autrement », répondit le sanglier, « si je veux me nourrir des châtaignes du petit bosquet, au-delà des champs ? »

« Tu as raison, mais il y aurait certainement moyen d'arranger cette situation », s'écria le cadet. « Viens avec moi chez le roi, nous lui expliquerons tout cela ».

Le sanglier hésitait beaucoup, car il connaissait la méchanceté des hommes, mais il accepta quand même la proposition du cadet, car c'était la première fois qu'un humain comprenait son point de vue.

Au moment où ils sortaient de la forêt du côté opposé, le frère aîné les aperçut, et son cœur s'emplit de jalousie et de haine. Il les suivit à distance, et quand ils s'engagèrent sur le pont au-dessus du ruisseau, il bondit sur le cadet par derrière et lui donna un si grand coup sur la tête qu'il tomba dans l'eau.

Croyant son frère mort, l'aîné passa une corde au cou du sanglier et décida de le porter au roi et de faire comme s'il l'avait attrapé lui-même, pour obtenir la récompense. Il raconta à tous que son jeune frère avait été tué par le sanglier, et tout le monde le crut. Le roi fit alors appeler son cuisinier, à qui il voulait donner le sanglier, pour qu'il le tue et le fasse rôtir.

Le sanglier, qui avait tout entendu, couinait de peur, mais personne dans l'assemblée ne l'écoutait. Tout à leur bavardage, ils ne faisaient pas attention à lui.

Mais soudain, dans la grande salle, il y eut comme un souffle, comme une brise légère. C'était le cadet qui, s'avançant du fond de la salle, soufflait dans le roseau magique.

Alors on entendit des cris de terreur et de souffrance, et tous se turent et écoutèrent, cherchant des yeux celui qui criait ainsi sa misère. Et les regards étonnés se posèrent enfin sur le sanglier, car tous maintenant comprenaient sa douleur et sa détresse.

Quand il fut devant le roi, le cadet raconta sa rencontre avec le lutin, qui lui avait donné le roseau magique. Grâce à lui, il avait pu comprendre et convaincre le sanglier de l'accompagner, mais l'aîné les avait attaqués, le laissant pour mort dans le ruisseau et emmenant de force l'animal.

Le roi ordonna sur le champ que le sanglier soit libéré de ses liens, et que le frère aîné soit jeté en prison. A la demande du roi, le cadet souffla encore une fois dans le roseau, et le sanglier expliqua qu'il était obligé de traverser les champs et les cultures, pour aller chercher les châtaignes dont ils se nourrissaient, lui et les siens.

« C'était pourtant évident, mais je n'y avais pas pensé », admit le roi. « Dès demain, nous ferons tracer un sentier, que tu pourras emprunter en toute liberté, toi et ta famille ».

Le sanglier, le cœur léger, put regagner la forêt tranquillement. Quant au roi, il décida que jamais plus il n'arbitrerait un conflit sans prendre la peine d'écouter chacun, quelle que soit son espèce.

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