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CA n°39 - Jusqu'où défendre les animaux ? - mai 2017

À qui profite le crime ?

Sur la qualification terroriste de l’ALF et ses implications juridiques et politiques remarquables

David Chauvet est doctorant en droit à l’Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques de l’Université de Limoges. Il a écrit le texte qui suit en 2012, dans le prolongement de sa participation au colloque « Jusqu’où défendre les animaux ? » (Paris, Sciences Po, 23 mai 2011) dont il était co-organisateur.

La Rédaction

Si les conflits sociaux révèlent l’émergence d’enjeux de société, nul doute que la question animale prend une dimension inédite depuis que les défenseurs des animaux la portent sur le terrain. La cause animale a dépassé le stade de la théorisation non seulement pour atteindre celui de la revendication organisée1, mais aussi, plus récemment, celui de l’action directe. Le Front de libération des animaux, ou ALF (Animal Liberation Front), courant animaliste d’origine anglo-saxonne prônant le recours à l’action illégale dans la limite de la non-violence sur les personnes2, se fait connaître depuis les années 1970 par de très nombreuses libérations d’animaux aussi bien que par la dégradation ou la destruction d’infrastructures servant à leur exploitation, au besoin par le feu. Si les secondes effraient, les premières, bien qu’elles constituent un vol, attirent facilement la sympathie3. Il y a quelque paradoxe à trouver légitime de sauver un animal de l’enfer auquel on le destine par ailleurs en acceptant la condition qui lui est légalement faite. Telle est, je crois, la contradiction qui résume la manière dont est perçu l’ALF, et interroge, à travers la perception de ce mouvement, l'ensemble de la cause animale.

I. Incertitude de l’ordre établi

A. Légalité du meurtre des animaux...

Le meurtre des animaux que l’homme exploite est légal en France comme ailleurs. Peu le remettent en cause, puisqu’il est la condition de l’utilité que la plupart en tirent. Chaque jour en France, près de trois millions d’animaux terminent dans les abattoirs leur triste existence4, sans compter les innombrables poissons qui, à peine considérés comme des animaux, sont soumis dans l’indifférence générale aux pires traitements : lente agonie par suffocation, écrasement dans les filets, éviscération à vif, etc5. Les sympathisants de l’ALF comparent volontiers l’action de ce mouvement à celle des résistants de la Seconde Guerre mondiale, tant il est vrai que, comme le disait le prix Nobel Isaac Bashevis Singer, pour les animaux, « tous les êtres humains sont des nazis6 ». Pourtant, ce même ALF tente d’alerter l’opinion publique sur les violences que subissent les animaux. Pour ce faire, ses militants filment la détresse animale sur les lieux de leurs interventions7. Il eût été bien inutile de sensibiliser les nazis sur les violences faites aux Juifs.

B. ... mais conditionnement à un principe de nécessité dont l’application fait difficulté

Actuellement, nombreux encore sont ceux pour qui les animaux ne comptent pas plus que des outils, au premier rang desquels ceux qui les exploitent, qui plus est dans les pires conditions. Notre code civil, selon lequel les animaux ne sont que des « biens meubles », s’inscrit dans cette vision strictement utilitaire, tandis que d’autres, comme celui de l’Allemagne8, affirment explicitement que l’animal n’est pas une chose. D’une façon générale pourtant, notre époque réprouve la violence sur les animaux, même lorsqu’elle est exercée dans l’intérêt humain. Nous ne nous octroyons pas le droit d’agir arbitrairement à leur égard. Les mauvais traitements ou la mise à mort ne doivent intervenir qu’en cas de nécessité, et s’il faut tuer les bêtes, que ce soit « humainement ». Ce principe de nécessité s’exprime aujourd’hui dans la loi française, avec les articles L214-3, L215-11 du code rural et R654-1 du code pénal pour ce qui concerne les mauvais traitements, et l’article R655-1 du code pénal pour la mise à mort9. Nous sommes de nos jours très loin des conceptions stoïciennes à l’égard des animaux, qui s’étaient imposées dans le christianisme par l’intermédiaire de théologiens leur refusant par principe tout rapport de justice, comme Augustin d’Hippone ou Thomas d’Aquin. Si l’on peut définir le droit à l’existence des animaux en fonction d’un impératif de nécessité, le désaccord porte sans doute moins à présent sur le bien-fondé d’un tel droit naturel et positif que sur les modalités d’application d’un principe désormais reconnu. Plus le meurtre de l’animal est ludique, comme c’est le cas pour la corrida ou la chasse à courre, plus il est réprouvé. Lorsqu’on mange les animaux, c’est parce qu’on croit qu’il le faut, en s’imaginant que cette alimentation s’inscrit dans la nature des choses. Quant au plaisir culinaire qu’on tire de ces dégustations, il est vite gâché si l’on s’attarde sur la victime sacrifiée dans les abattoirs. Aussi évite-t-on pareilles pensées – et nous pouvons à cet égard compter sur l’aide des professionnels de la filière. Leurs publicitaires déploient tous leurs talents pour minimiser autant que possible la violence inhérente à la production de viande. D’autres mécanismes de défense, comme la mentaphobie10, contribuent également à relativiser notre responsabilité quant au sort que nous réservons aux animaux. Mais ils interviennent lorsqu’il s’agit de justifier leur mise à mort, qui ne va donc pas de soi. Sans besoin de tuer les animaux, nul besoin de nier leurs droits. C’est pourquoi l’on peut trouver sympathique le militant qui libère l’animal composant habituellement nos repas. Cette perception ambivalente est celle d’une civilisation à mi-chemin entre l’absence totale de considération pour les animaux exhibée par certains et le respect intégral qu’appelle de ses vœux le mouvement pour la défense de leurs droits. Dans ce contexte, il est difficile de situer l’action illégale des militants de l’ALF.

II. Inconsistance de la qualification terroriste de l’alf

A. Surqualification pénale pour des raisons économiques

Ces dernières années, on a eu tendance à qualifier de « terroriste » ou d’ « écoterroriste » l’action de l’ALF. Cette tendance pose de sérieux problèmes juridiques, éthiques et politiques. En plaçant au même niveau les assassins et ceux qui prennent soin de ne blesser ou tuer personne, on réduit l’importance d’une différence pourtant essentielle à de nombreux égards. Celui qui fait exploser une bombe dans la foule et celui qui, la nuit, libère un animal de sa cage, sont désignés par le même vocable. Aux États-Unis, l’Animal Enterprise Terrorism Act (AETA), adopté par le gouvernement de G. Bush le 26 novembre 2006, vise expressément le vol des animaux utilisés par les entreprises de production ou d’expérimentation animale. C’est au détriment de la hiérarchie symbolique qui, dans la conscience sociale, distingue les crimes les plus indéfendables de délits relevant d’une dissidence politique plus facilement comprise. Le terme « terrorisme » risque alors de perdre toute spécificité en se banalisant. Autrement plus préoccupantes sont les implications relatives aux droits humains. La mise en échec d’un certain nombre d’instruments de protection des libertés fondamentales par la législation antiterroriste11 se justifie déjà difficilement alors même qu’il s’agit de protéger la vie humaine d’attentats délibérément meurtriers. Mais pour la protection d’intérêts économiques ? C’est pourtant de celle-ci que relève la répression à l’encontre de l’ALF, classé parmi les mouvements terroristes par le Federal Bureau of Investigation (FBI) en 1987, en réaction à un attentat aux conséquences financières particulièrement importantes12.

Cette manière de voir s’inscrit dans l’évolution juridique de la notion de terrorisme13, détachée de l’idée qu’en retient généralement le sens commun. Pour la plupart des gens, l’action terroriste est celle qui tue ou porte atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Il n’est donc pas artificiel de qualifier Al-Qaida, par exemple, de terroriste. C’est sans conteste beaucoup moins évident pour ce qui est de l’ALF. Les échanges devant une commission sénatoriale américaine en 2005 à propos de ce mouvement, et notamment sa qualification, témoignent de cet écart : « Vous avez dit que les gens étaient terrorisés par l’idée de ces actions [de l’ALF]. Voyons, vous considérez l’écoterrorisme comme la première menace intérieure de terrorisme domestique. Est-ce que je vous cite correctement ? » demandait le sénateur Lautenberg à John Lewis, directeur adjoint du FBI. Après que celui-ci eut acquiescé, le sénateur ajouta : « Les gens ne craignent-ils pas davantage qu’on enlève leurs enfants dans un centre commercial, qu’un violeur pénètre chez eux par effraction, ou que quelqu’un commette un assassinat ? ». Lewis : « Je pense que si vous interrogiez l’homme de la rue, il dirait, oui, nous avons sans doute plus peur de cela. » Lautenberg : « Oui, parce que le terrorisme ne correspond pas du tout à la façon dont nous en parlons [ici]14. » Les actions de l’ALF répondent à la définition du terrorisme qu’en donne le FBI15, tranchera Lewis, craignant moins la tautologie que la discussion.

Pour autant, du point de vue du droit, la notion de terrorisme ne dépend plus exclusivement de l’accomplissement de violences sur les personnes. Si, jusqu’à une période relativement récente, les dégradations et détériorations n’étaient rangées au nombre des infractions terroristes que dans la mesure où elles créaient un risque pour la vie ou la santé humaine16, à présent, aux États-Unis17, en Angleterre18 comme en France19, il suffit qu’elles soient rattachées au but « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » pour prendre la formulation française d’une idée largement répandue. La possibilité de substituer le critère de l’intimidation à celui de la terreur participe pourtant d’une définition du terrorisme pour le moins ambiguë car « toute violence porte en elle un facteur d’intimidation20 ». Avec la liste hétérogène des infractions pouvant relever du terrorisme selon notre code pénal ou la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, nous sommes en présence d’un véritable « risque d’inclure des actes relevant du “mouvement social” et non du terrorisme proprement dit21 ». Toute forme de contestation impliquant une violence sur les biens à des fins politiques est pratiquement concernée par cette approche. En effet, « comment identifier de manière univoque la frontière entre terrorisme, extrémisme violent, opposition politique, lorsque les actions matérielles sont identiques22 ? ». En relèveraient par exemple les destructions de parcelles d’organismes génétiquement modifiés, qui visent à faire aboutir des vues politiques (l’interdiction de ces cultures) et constituent « une action parfaitement illégale et violente (puisqu’elle s’attaque à la propriété privée)23 ». Pour l’heure, l’idée n’est heureusement venue à personne d’assimiler les « faucheurs » à des terroristes, que ce soit judiciairement ou dans la presse. De même, aucun militant de l’ALF n’a été condamné pour terrorisme sur notre sol (mais le phénomène est marginal en France). Une législation qui prononcerait de telles condamnations ne serait plus répressive, mais oppressive. Ces abus apparaîtraient de façon manifeste, à moins que chacun ne voie, dans le sort particulier réservé aux activistes de l’ALF, une exception au consensus social selon lequel l’atteinte aux biens relève non du terrorisme mais de la désobéissance civile. Encore faudrait-il justifier une telle exception.

Cela amène à s’interroger sur une tendance de la presse francophone24 à emboîter avec aisance le pas au FBI qui range l’ALF au nombre des menaces terroristes. Faut-il mettre cela sur le compte de l’apparence inquiétante de ses militants (vêtements noirs, cagoule), des incendies qu’ils commettent quelquefois ou de leur diatribe souvent vindicative ? Les « black blocs » n’ont pourtant rien à leur envier25. Eux ne sont pas étiquetés comme terroristes par les médias, lesquels peuvent parfois même faire montre du sens critique qui fait trop souvent défaut lorsqu’il est question du prétendu caractère terroriste de l’ALF26. Sans doute ne faut-il y voir autre chose qu’un simple suivisme médiatique. Mais on peut aussi envisager que, parfois, cette appréciation puisse exprimer un rejet non pas uniquement des méthodes mais aussi de la doctrine présidant à l’action de l’ALF. Ce dernier, alors, n’est plus le seul concerné par cette réaction qui vise aussi le mouvement pour les droits des animaux dans sa totalité.

B. Disqualification rhétorique pour des raisons idéologiques

Il n’est probablement pas inutile de constater ici que les articles dénonçant la « menace terroriste » de l’ALF sont aussi ceux qui s’opposent vigoureusement, sur le fond, au mouvement pour les droits des animaux, c’est-à-dire à l’antispécisme ou à la libération animale27. Dans un article du 30 mai 2009 intitulé « Le terrorisme végétarien », paru sur le site du Nouvel Observateur, l’un de ses journalistes, Fabien Gruhier, « assimile les associations participantes à la “Journée contre le spécisme” (discrimination exercée contre les animaux) aux auteurs d’incendies dirigés contre un marché de la viande », pour reprendre les termes du droit de réponse obtenu par lesdites associations. Un autre leur avait été concédé quelques années plus tôt, à l’occasion d’un article du même hebdomadaire qui avait établi un lien entre les actions violentes et une idéologie qui l’impliquerait mécaniquement28. L’article, après avoir comparé Al-Qaida et l’ALF, citait Le Principe d’humanité (Seuil, 2001) du journaliste et écrivain Jean-Claude Guillebaud : « C’est une idéologie dangereuse pour l’humanité de penser que les animaux ont les mêmes droits que les humains. Il s’agit là d’un antihumanisme qui ramène à la logique du nazisme29. » On trouve ce lien entre une méthode, celle de l’ALF, et la doctrine antispéciste également chez le politologue Paul Ariès : « La violence des moyens mis en œuvre n’est que le fruit d’une idéologie perverse. La régression organisée par ce dogme ne peut, en effet, déboucher que sur la terreur. Cette violence physique ou morale est moindre cependant que la violence symbolique : ces prétendus libérateurs ne sont en effet que les saboteurs de toute forme d’humanisme30. » Il ajoute : « Il ne suffit pas de condamner les effets (la violence) sans condamner ce qui les motive31. » L’accusation de « terrorisme » portée à l’encontre de l’Animal Liberation Front pourrait dès lors servir une stratégie de diabolisation politico-idéologique du mouvement de libération animale32 par l’assimilation rhétorique du premier au second. Elle culmine dès le début de l’ouvrage : « Le plus grand danger n’est pas leurs actes terroristes mais leur pensée terroriste33. » Une telle analyse amène à constater non pas seulement l’illégitimité de l’action de l’ALF, mais aussi celle de sa cause. On ne saurait admettre que les militants de l’ALF libèrent les bêtes, car ce serait accréditer la thèse antispéciste selon laquelle on les enferme de façon injuste, et que leur libération est justifiée34 ; qu’il faudrait leur reconnaître des intérêts comparables aux nôtres, et des droits à l’avenant. D’aucuns préféreraient qu’on parle moins de libération de victimes animales que de terrorisme. Il y a quelque intérêt idéologique à qualifier de terroristes les militants de l’ALF.

Cependant, discréditer de cette manière indirecte la cause antispéciste pourrait avoir des conséquences concrètes particulièrement dramatiques, non seulement pour les militants radicaux, mais aussi pour les autres. Un auteur, plaidant pour l’étiquetage terroriste de l’ALF, avançait dernièrement : « il semble improbable que le fait de qualifier de terrorisme l’activité de l’ALF affecte celle d’organisations légitimes passant par les canaux de sensibilisation classiques35. » Cette analyse pour le moins optimiste, outre l’aisance déconcertante avec laquelle elle accueille la disproportion des moyens et sanctions déployés contre les militants de l’ALF, semble avoir économisé la prise en compte d’épisodes récents, pourtant édifiants. N’avons-nous pas récemment constaté, en Autriche, la facilité avec laquelle des lois antiterroristes peuvent être utilisées pour faire arrêter d’inoffensifs militants associatifs ? L’association Verein Gegen Tierfabriken36 (VGT) obtenait des résultats significatifs en matière de défense animale37, par un militantisme qui ne dépassait pas le stade de la désobéissance civile telle que la pratiquent couramment nombre d’associations écologistes, humanistes ou animalistes. Ses dirigeants et militants ont pourtant dû subir, en mai 2008, une arrestation très musclée. Sur le fondement du dispositif d’exception contre le terrorisme38, ils furent cueillis à l’aube dans leur lit, revolvers braqués sur eux comme s’ils cachaient une mitraillette sous leurs draps, puis mis en détention provisoire à partir de charges des plus douteuses, telle que la présomption d’appartenir à une organisation criminelle39. Ce déplorable épisode s’est soldé par un acquittement sur tous les chefs d’inculpation en mai 2011. Il reste que l’épreuve fut longue et rude, et que la vie des prévenus, emprisonnés pendant une centaine de jours, en a été bouleversée. Ils en sortent criblés de dettes monumentales40, le code de procédure pénale autrichien ne permettant pas au juge d’ordonner, au bénéfice de la personne innocentée, un remboursement des frais de justice d’un montant supérieur à 1250 euros41. Il importe pour le présent propos de remarquer que cette tentative policière, manifestement abusive, fut vivement dénoncée par des ONG comme Amnesty International, et provoqua un tollé dans la presse autrichienne et internationale (à l’exception notable du pays des droits de l’Homme). Mais en serait-il allé de même si l’opinion et les médias, à force d’entendre que les militants animalistes sont des terroristes, avaient trouvé normal qu’un tel sort leur fût réservé ? Cet opprobre ne peut être sans conséquences graves au regard des principes d’égalité entre les citoyens, surtout lorsqu’il est le fait de l’État. Aux États-Unis, la législation à l’égard de l’ALF dit aux militants animalistes de se tenir à carreau sous peine de se voir affublés de cette monstrueuse accusation de terrorisme, comme l’explique Kimberly E. McCoy dans un article très lucide sur cette situation alarmante42. Finalement, résume-t-elle, « une personne qui écrit avec une bombe aérosol le mot “assassin” sur la vitrine d’un magasin de fourrure, sans blesser qui que ce soit, pourrait être condamnée en vertu d’une loi fédérale sur le terrorisme, et être ainsi mise à égalité avec les auteurs d’atrocités telles que l’attentat à la bombe d’Oklahoma City, celui du Parc olympique d’Atlanta, ou les événements du 11 septembre43 ». Sous l’impulsion du FBI et de l’administration Bush, l’Amérique n’est-elle pas en train de s’illustrer par une nouvelle chasse aux sorcières44 ?

Les excès des autorités américaines ou autrichiennes sont consécutifs aux dommages économiques que subissent les filières d’exploitation animale. Jusqu’à présent, l’existence de ces dernières est toutefois moins menacée par l’action illégale de l’ALF que par celle, légale, d’une association traditionnelle comme VGT. Lorsque l’ALF détruit des fermes à fourrure, c’est autant de débouchés pour d’autres producteurs qui peuvent renforcer leur sécurité et rendre impossibles de telles actions. Mais une interdiction de la production de fourrure comme celle qu’a obtenue VGT réduit définitivement à néant l’ensemble de la filière. On comprend la tentation d’utiliser le formidable appareil de lutte antiterroriste pour neutraliser une association aussi gênante. Ce qui s’est produit en Autriche menace de n’être qu’un prélude à ce qui se produira ailleurs, avec la progression de la cause animale, car l’influence des groupes de pression anti-animalistes sur l’exécutif est très forte45.

Je ne me suis pas interrogé sur la légitimité de l’ALF pour la cause animale. D’un point de vue conséquentialiste, elle se confond beaucoup avec ses effets sur l’opinion publique, étant entendu que le but que vise ce mouvement – la libération animale – ne sera pas atteint sans l’assentiment de la population. Mais le consensus peut-il suffire à changer les choses ? En la matière, force est de constater que non. Certainement, face à l’indifférence des pouvoirs publics tant à l’égard des souffrances des animaux que de l’opinion s’exprimant majoritairement contre ces souffrances, l’action des militants de l’ALF est-elle nourrie par la conviction que les voies traditionnelles sont impuissantes à améliorer significativement la situation. Se pose dès lors la question de l’influence démesurée des lobbies d’exploitation animale sur la classe politique et ses conséquences néfastes sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques. En France, l’esprit des défenseurs des animaux ne peut qu’être profondément marqué par le classement de la corrida au « patrimoine culturel immatériel de la France », la pénalisation de la contestation pacifique de la chasse à courre, etc. En bonne logique démocratique, ces pratiques, largement réprouvées par l’opinion publique46 et contestées depuis plusieurs décennies par les associations47, ne devraient pas perdurer et encore moins faire l’objet d’une telle protection gouvernementale. Si le dysfonctionnement des institutions, ainsi engendré, provoque une crise de confiance incitant au recours à l’illégalité48, c’est une raison de plus de s’interroger sur la place qu’occupent ces groupes de pression au sein des structures de gouvernement49.

Octobre 2012

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Notes

  1. L’action associative en faveur des animaux remonte au début du dix-neuvième siècle (voir C. Traïni, La Cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Paris, PUF, 2011).
  2. L’ALF entend agir « en prenant toutes les précautions nécessaires pour ne blesser aucun animal, humain ou non […]. L’ALF ne pardonne d’aucune façon la violence [...]. Toute action impliquant de la violence n’est pas, par cette définition, une action de l’ALF, et toute personne impliquée n’est pas membre de l’ALF » (charte de l’ALF traduite dans P. Ariès, Libération animale ou nouveaux terroristes ? Les saboteurs de l’humanisme, Paris, Golias, 2000, p. 114). D’autres courants, comme l’ARM (Animal Rights Militia), n’entendent pas épargner la vie humaine (voir infra, note 28). À ce jour cependant, ils n’y ont pas davantage que l’ALF porté atteinte.
  3. En France par exemple, l’action de libération par le « commando Greystok » de singes utilisés pour des expériences impliquant leur trépanation avait obtenu les honneurs de la presse dans les années 1980.
  4. Chiffre obtenu par la compilation des données issues du dernier rapport de FranceAgriMer : Les produits carnés, avicoles et laitiers données statistiques 2010, France, Union européenne, monde, FranceAgriMer, septembre 2011. En 2010, on a abattu en France près de 950 millions de volailles (poulets, poules, dindes, canards, pintades, oies), 44 millions de cailles, 35 millions de lapins, près de 25 millions de porcins, plus de 5 millions d’ovins et caprins, plus de 3,5 millions de gros bovins, 3 millions de pigeons, près de 1,5 million de veaux, 700 000 chevreaux, 17 100 chevaux, soit environ 1 milliard 67 millions d’animaux.
  5. Voir A. Mood, « Le pire a lieu en mer. Les méthodes de la pêche commerciale » trad. E. Barraud, Cahiers antispécistes, no 34, janvier 2012, p. 3-30 (accessible en ligne).
  6. The Letter Writer dans C. Patterson, Un Éternel Treblinka, trad. D. Letellier, Paris, Calmann-Lévy, 2002, p. 13. Sans doute rabaisse-t-on depuis fort longtemps les animaux, non seulement pour justifier la condition qui leur est faite et le profit que nous en tirons, mais aussi pour ériger notre propre dignité, comme les nazis aux dépens des Juifs, entre autres. Pour qu’il y ait une « race supérieure » il fallait bien qu’il y ait des « races inférieures », et l’on peut remplacer le mot « race » par « espèce » (comme le fait Yves Bonnardel, « Idée de nature, humanisme et négation de la pensée animale » in P. Jouventin, D. Chauvet, E. Utria, (dir.), La Raison des plus forts. La conscience déniée aux animaux, Paris, Imho, 2010, p. 96), dès lors qu’il est question de tirer, à intérêts individuels comparables, des inégalités de droit à partir de différences ou d’inégalités de fait.
  7. C’est une des missions fixées par la charte de l’ALF (P. Ariès, op. cit., p. 114).
  8. § 90a BGB.
  9. La doctrine juridique a déjà noté la consécration d’un droit à la vie de certains animaux, socialement proches de l’homme. Voir J.-P. Marguénaud, L’Animal en droit privé, Paris, PUF, 1992, p. 427 sqq. ; L. Boisseau-Sowinski, La Désappropriation de l’animal, Limoges, thèse, 2008, p. 201 sqq.
  10. Le déni de la pensée des animaux tendant à minimiser leur intérêt à exister, et par conséquent la gravité attachée au fait de les tuer. On craint d’envisager la conscience animale en ce qu’elle remet en cause l’ordre établi par les humains à leur propre bénéfice (cette mentaphobie sociale, d’ordre éthique, doit être distinguée de la mentaphobie scientifique, d'ordre épistémologique et socio-professionnel, dénoncée par l'éthologue Donald R. Griffin. Voir D. Chauvet, La Mentaphobie tue les animaux, Gagny, Droits des Animaux, 2008, p. 16-19, et D. Chauvet, « Abolitionnisme, welfarisme et mentaphobie », Klêsis. Revue philosophique, n° 16, 2010, p. 123. Cette dernière tend à disparaître, néanmoins la nécessité d'une récente Déclaration sur la conscience des animaux, signée en juillet 2012 à Cambridge [voir P. Jouventin, D. Chauvet, « Les animaux en toute conscience », Libération, 31 août 2012, p. 17], démontre en elle-même la persistance du déni scientifique. Pour un recensement d’autres stratégies d’exclusion, voir J.-B. Jeangène Vilmer, Éthique animale, Paris, PUF, 2008, p. 125-138).
  11. Voir K. Parrot, La Justice court-circuitée. Les lois et procédures antiterroristes en France, Human Rigths Watch, mai 2008.
  12. L. Lambert, « Animal Liberation Front » dans G. Martin, The SAGE Encyclopedia of Terrorism, Second Edition, Californie, SAGE publications, 2011, p. 44. L’approche du droit de propriété outre-Atlantique y est certainement pour beaucoup. Mais la protection des intérêts économiques des filières d’exploitation animale n’est vraisemblablement pas la seule motivation d’une agence comme le FBI. Comme d’autres acteurs de la sécurité américaine, elle a tout intérêt, pour obtenir une légitimité, un rôle et donc un budget dans la lutte antiterroriste, à « rendre légitime aux yeux de l’opinion publique et des décideurs politiques “son” approche du terrorisme », c’est pourquoi « on assiste à une surenchère dans le discours sécuritaire visant à justifier leur implication » (A. Adam, La Lutte contre le terrorisme. Étude comparative Union européenne - États-Unis, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 48-49). Nous voyons ici œuvrer un mécanisme conduisant insensiblement à une politique sécuritaire, à partir d’une instrumentalisation des événements du 11 septembre.
  13. Littérature dans Ü. Kilinç, La Liberté d’expression en Turquie à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 354, note 1427.
  14. Committee on Environment and Public Works (109e congrès), Eco-terrorism specifically examining the Earth Liberation Front and the Animal Liberation Front, Washington, DC, US Government Printing Office, mai 2005, p. 17 sqq.
  15. Sur son site Internet, le FBI définit le terrorisme comme « l'utilisation illicite de la force ou la violence contre les personnes ou les biens, pour intimider ou contraindre un gouvernement, la population civile, ou une partie de celle-ci, en vue d'atteindre des objectifs politiques ou sociaux ».

    (http://www.fbi.gov/albuquerque/about-us/what-we-investigate/priorities)

  16. Par exemple, la Convention européenne pour la répression du terrorisme (Strasbourg, 27 janvier 1977) vise l’acte contre les biens « lorsqu’il a créé un danger collectif pour des personnes » (art. 2 § 2). Une résolution du Conseil de sécurité sur le terrorisme international adoptée par le Comité des Ministres le 24 janvier 1974 (53e session), s’intéresse au « caractère de particulière gravité de ces actes [...] lorsque ceux-ci créent un danger collectif pour la vie, la liberté ou la sécurité humaine ». En France, avant la réforme du code pénal de 1992 (entrée en vigueur le 1er mars 1994), incluant dans les actes de terrorisme les dégradations et détériorations (art. 421-1-2 c. pén.), la loi no 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État envisageait ces dégradations et détériorations en relation avec l’usage de « substance explosive ou incendiaire, ou d’un incendie, ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». Certains diraient que ce rattachement à un risque pour la sécurité humaine aurait au moins permis d’exclure du champ du terrorisme les dégradations résultant de moyens inoffensifs, pour ne concerner que les actions dangereuses par nature (incendies, usage d’explosifs). Mais celles-ci n’ont pas davantage que celles-là vocation à terroriser autrui en menaçant sa vie si, comme c’est le cas avec l’ALF, elles visent uniquement et explicitement ses biens. Ces actions dangereuses n’en font pourtant pas moins l’objet d’une aggravation des peines dans notre législation pénale en matière de délinquance et de criminalité de droit commun (art. 322-6-1 c. pén., loi no 2004-204 du 9 mars 2004). En outre, la jurisprudence apprécie très largement leur dangerosité, en récusant le caractère inoffensif de l’incendie dont il est établi que personne ne se trouvait aux alentours (Crim. 30 sept. 2003, Bulletins des arrêts de la Cour de cassation, 171. Voir M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Paris, Dalloz, 2006, p. 269-270). Dès lors, on peut se demander si l’ALF aurait pu exclure l’usage de ces moyens dangereux à partir d’une interprétation tout aussi large de ses statuts qui proscrivent la mise en danger d’autrui, c’est-à-dire en privilégiant une approche objective (le caractère dangereux du procédé) plutôt que subjective (la volonté de l’auteur de l’acte, se manifestant par des mesures de sécurité pour la personne humaine). Une telle distinction a certes ses limites car ces précautions de sécurité ne sont pas sans incidence sur la dangerosité réelle des procédés en cause. Toujours est-il vrai que l’ALF eût ainsi échappé à l’image violente immanquablement attachée au spectacle de l’incendie, marquant pour les esprits.
  17. Aux États-Unis, le Federal Criminal Code (Titre 18, Partie 1, Chapitre 113B, Section 233) définit le « terrorisme domestique » comme « l’activité impliquant des actes dangereux pour la vie humaine », mais l’USA Patriot Act, loi antiterroriste adoptée par l’administration Bush en 2001, évoque de façon assez vague les « destructions de masse » (section 802, Definition of domestic terrorism), ce qui permet à la définition du FBI de trouver un certain appui. Voir S. Best, A. J. Nocella II, « Defining terrorism », Animal Liberation Philosophy and Policy Journal, no 2 (1), 2004, p. 4.
  18. Voir la première section du Terrorism Act 2000 incluant les dommages graves aux biens (serious damage to property).
  19. Art. 421-1-2 c. pénal.
  20. H. Laurens, « Le terrorisme comme personnage historique » in H. Laurens, M. Delmas-marty, (dir.), Terrorismes. Histoire et droit, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 11.
  21. E. Decaux, « Terrorisme et droit international des droits de l’homme » in H. Laurens, M. Delmas-Marty, (dir.), op. cit., p. 298. Telle est la faiblesse de cette classification (M. Delmas-Marty, « Typologie juridique du terrorisme : durcissement des particularismes ou émergence d’une communauté mondiale de valeurs ? » in H. Laurens, M. Delmas-Marty, (dir.), op. cit., p. 167), probablement vouée de ce fait à disparaître (M. Delmas-Marty, « Le terrorisme comme concept juridique de transition », in H. Laurens, M. Delmas-Marty, (dir.), op. cit., p. 324).
  22. M.-L. Cesoni, « Terrorisme et involutions démocratiques », Revue de droit pénal et de criminologie, no 2, 2002, p. 145.
  23. B. Villalba, « Contributions de la désobéissance civique à l’établissement d’une démocratie technique. Le cas des OGM et du Collectif des Faucheurs volontaires » in D. Hiez, B. Villalba, (éd.), La Désobéissance civile. Approches politique et juridique, Villeneuve-d’Ascq (Nord), Presses universitaires du Septentrion, 2008, p. 130. Pour que des telles actions attentatoires aux biens échappent à la qualification terroriste et ressortissent au droit commun en vertu de la notion non juridique de désobéissance civile (à supposer qu'on puisse la rattacher à la résistance à l’oppression, celle-ci, quoique consacrée par la Déclaration de 1789, par celle de 1793 et, d'une façon indirecte et théorique, par la décision du Conseil Constitutionnel no 81‑132 DC du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation, ne fait de toute façon pas partie du droit positif, étant dépourvue de sanction), il importe peu qu’elles soient publiques (la non-clandestinité constitue un critère de qualification de la désobéissance civile selon John Rawls, Théorie de la justice, [1971], trad. C. Audard, Paris, Seuil, 2002, p. 45), puisque tel n’est pas le critère que retient notre droit, et à juste titre : ceux des faucheurs qui, comme en Grande-Bretagne, ont agi la nuit pour éviter les poursuites (B. Doherty, G. Hayes, « A Tale of Two Movements. Manifestations anti-OGM en Grande-Bretagne et en France » in D. Hiez, B. Villalba, (éd.), op. cit., p. 176), sont-ils, pour cette raison, plus terroristes que ceux qui ont agi en plein jour ? Que l’acceptation de la sanction devienne un critère discriminant, et le tueur d’Oslo n’aurait plus qu’à plaider la désobéissance civile !
  24. Par exemple, sur le site Internet de La Tribune (7 septembre 2007) : « Ecoterrorisme : enquête sur la face noire des défenseurs des animaux » ; sur celui de la Radio-Télévision belge de la Communauté française (5 février 2008) : « Alerte générale aux éco-terroristes » ; sur celui de France-Soir (19 mai 2010) : « L’éco-terrorisme débarque en Europe » ; etc.
  25. Ces Black Blocs, lors de manifestations, saccagent ou incendient systématiquement les banques ou d’autres institutions symbolisant le capitalisme. La structure de ce mouvement étant, à l’instar de l’ALF, informelle et décentralisée, il ne s’agit pas d’un groupe mais d’une stratégie. Voir F. Dupuis-Deri, Les Blacks Blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, 3e éd., Montréal, Lux Éditeur, 2007, p. 13.
  26. « Estimant que les débordements des Black Blocs suscitaient “des situations de terreur au sein de la société” et “semaient la crainte parmi les citoyens de l’Union”, les responsables européens ont décrété que ces attaques devaient être traitées comme des actes terroristes tels que les définit Bruxelles dans l’après 11 septembre », note un journaliste au Nouvel Observateur, Olivier Toscer, sur le site du journal dans un article du 7 avril 2009 intitulé « Les Black Blocs terroristes ? ». Loin d’abonder dans ce sens, il relève qu’ « un pas sémantique a été franchi » dans « cette appréciation extrêmement répressive ».
  27. On désigne généralement par ces expressions la lutte politique pour l’abolition de toute forme d’exploitation animale. Il s’agit de libérer les animaux de l’emprise humaine, ce qui n’implique pas nécessairement de souscrire aux méthodes de l’ALF, qu’on peut refuser entre autres pour des raisons de principe (refus direct de l’illégalité ou de la violence) ou stratégiques (refus indirect en raison du risque de discrédit de la cause animale).
  28. « Bêtes et méchants », 26 avril-2 mai 2007. Suite au droit de réponse de Droits des Animaux et d’autres groupes animalistes récusant l’amalgame aussi bien entre eux-mêmes et l’ALF qu’entre ce dernier et le terrorisme ( « Nous sommes de plus abusivement assimilés à l’ALF, lui-même diffamé puisque ignoblement comparé à Al-Qaida. Pourtant, contrairement aux terroristes islamistes, l’ALF n’a jamais essayé de porter atteinte à l’intégrité physique des personnes, ses statuts étant clairs sur ce point »), Marie Vaton, auteure de l’article, insiste (24-30 mai 2007) : « Le caractère violent de l’ALF est pourtant avéré, certaines factions du groupe, comme la Milice des droits des animaux (Animal Rights Militia) ou Justice Department, visent directement l’être humain. Et s’il est vrai que pour l’instant l’ALF n’a jamais tué personne, certaines déclarations de porte-parole du mouvement, comme celle de Rod Coronado, ancien porte-parole de l’ALF, sont sans ambiguïtés : “Je pense que les producteurs de nourriture devraient apprécier le fait que nous ne visions que leurs biens. Parce que, franchement, je pense qu’il est temps de commencer à les cibler eux” ». En réponse, je me contenterai de renvoyer supra, note 2, et de citer un militant anonyme de l’ALF interrogé par le philosophe Klaus Petrus sur le site Internet terrorisme.net ( « Libération animale : voix de la clandestinité. Entretien avec un activiste de l’ALF », 8 janvier 2008) : « “ARM” ou “RC-ALB” ne font pas référence à des organisations mais à des attitudes. Tout le monde peut se cacher derrière ces noms. Même un acteur de l’industrie qui exploite les animaux pourrait incendier un bâtiment et faire porter le chapeau à l’ALF ou l’ARM. Quoi qu’il en soit, je ne connais personne de l’ARM, des RC-ALB ou du Justice Department. Et je ne recherche pas le contact avec ces gens. Quiconque prend le risque de blesser ou de tuer des personnes n’a, à mes yeux, pas une attitude digne de l’ALF ou que je soutiendrai personnellement. (...) Pour ce qui est de mon engagement, ce sont les principes de l’ALF qui sont contraignants et pas les déclarations de certaines personnes. Si Jerry Vlasak ou d’autres ne sont pas de cet avis, c’est leur problème. Ceci n’a rien à voir avec l’ALF : nous ne voulons blesser ou tuer personne, et nous ne le ferons pas ! ». L’erreur de Marie Vaton est de réduire l’ALF à l’ARM, alors que le passage du premier au second est précisément ce qui révèle une volonté de tuer.
  29. Les opinions de Hitler étaient contraires à l'humanisme ; Hitler a exhorté au respect des droits des animaux ; donc les droits des animaux sont contraires à l’humanisme, voilà un syllogisme convaincant. S’il ne suffit pas de remplacer « droits des animaux » par n'importe quoi d'autre pour se rendre compte de l’ineptie de ce raisonnement, on la constatera facilement en confrontant ce sophisme à un autre : les opinions de Gandhi étaient conformes à l’humanisme ; Gandhi a exhorté au respect des droits des animaux ; donc les droits des animaux sont conformes à l’humanisme.
  30. P. Ariès, op. cit., p. 108.
  31. Ibid., p. 122. La virulente critique de Paul Ariès, gouvernée par la croyance en une incompatibilité irréductible entre l’humanisme et l’antispécisme, traduit une incapacité à concevoir un humanisme qui ne soit pas ontologiquement prédateur des animaux. Ce rapport de supériorité induit la légitimité de l’exploitation qui s’abat violemment sur eux. L’auteur ne cherche cependant pas à justifier les mauvais traitements à leur encontre ni même la consommation de viande. Mais il reste attentif à maintenir le fossé de principe entre les humains et les autres animaux, afin d’éviter qu’on en vienne un jour à traiter les humains, en particulier les plus faibles, comme on traite actuellement les animaux. L’auteur perçoit l’exclusion des uns comme un mal historique nécessaire à l’établissement de l’égalité des autres (op. cit., p. 89-90). Il semble assez hasardeux de se fonder sur cet argument, qui justifierait aussi bien a posteriori l’exclusion par le racisme, le nationalisme, etc. Une chose est de faire le constat qu’une chose est utile aux uns parce qu’elle nuisible aux autres, une autre est de le légitimer.
  32. L’ALF, rappelons-le, ne fait pas consensus dans le mouvement de libération animale (voir supra, note 27), quoi que puisse laisser penser la proximité de leur champ lexical.
  33. P. Ariès, op. cit., p. 9.
  34. Paul Ariès use systématiquement de guillemets sur les mots « libérer » ou « libération » lorsqu’il évoque les opérations des militants de l’ALF (par exemple, P. Ariès, op. cit., p. 143-144).
  35. K. R. Grubbs, « Saving Lives or Spreading Fear : The Terroristic Nature of Eco-Extremism », Animal Law, no 16 (351), 2010, p. 366.
  36. « Association contre les Usines d’Animaux ».
  37. Par exemple, l’interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure. Cf. § 25 (5) TSchG (Tierschutzgesetz, loi sur la protection des animaux entrée en vigueur le 19 septembre 2010). Ses résultats judiciaires en matière de liberté d’expression ne sont pas moins remarquables. Voir J.-P. Marguénaud, « Une victoire historique pour la liberté d’expression des défenseurs des animaux : l’arrêt de Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme Verein Gegen Tierfabriken Schweiz c/Suisse du 30 juin 2009 », RSDA, premier semestre 2009, p. 21-27.
  38. § 278a StGB.
  39. Voir les détails de cette affaire sur le site Internet shameonaustria.com et le site de l’association L214 (l214.com/solidarite-autriche). Pour le témoignage de l’un des disculpés, voir la « Déclaration de Martin Balluch après sa libération », trad. H. Breuil, Cahiers antispécistes, no 30-31, décembre 2008, p. 53-59.
  40. Au terme de ce long procès, multipliant les interventions des avocats et donc leurs honoraires, chacun des accusés est tenu d’une dette de 470 000 euros. Il leur était en outre interdit de travailler ou de recevoir des allocations chômage pendant la durée du procès. Les autorités autrichiennes peuvent ainsi détruire en toute impunité la vie d’innocents, même lorsque la justice les reconnaît comme tels. Je remercie Martin Balluch, Estiva Reus et Paula Stibbe pour les informations qu’ils m’ont aimablement communiquées.
  41. § 393a (alinéa 1-3) StPO.
  42. K. McCoy, « Subverting Justice : An Indictment of the Animal Enterprise Terrorism Act », Animal Law, no 14 (53), 2007.
  43. Ibid., p. 64.
  44. Voir W. Potter, Green Is the New Red : An Insider’s Account of a Social Movement Under Siege, San Francisco, City Lights Books, 2011.
  45. En France, l’emprise du lobby de la chasse sur le monde politique est un exemple emblématique. En juin 2010, le ministre de l’Écologie Jean-Louis Borloo se distingue par la promulgation d’un décret réprimant toute « obstruction à la chasse » (décret 2010-603 du 4 juin 2010, JORF no 0129 du 6 juin 2010, p. 10430, texte no 1). Une amende de 1500 euros peut désormais être infligée à qui s’interpose entre les veneurs et leurs proies. La chasse à courre devient ainsi le premier loisir pénalement protégé. Or, deux jours avant la publication du décret, la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) publie un communiqué de presse, dans lequel elle se plaint que « malgré des propos encourageants tenus au cours de son Assemblée Générale en mars 2009 [...] le décret contre les saboteurs de chasse, promis de longue date n’est toujours pas publié ! ». Il serait fastidieux de dresser la liste des avantages concédés aux chasseurs par le pouvoir politique, souvent au détriment des libertés des non-chasseurs – ce qui valut à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (cf. arrêt Chassagnou et a. c/France du 29 avril 1999). Citons tout de même le sort du fameux « jour sans chasse », institué en 2000 par Dominique Voynet, ministre de l’Écologie, aussitôt supprimé par son successeur, Roselyne Bachelot (art. 27 de la loi chasse 2003-698 du 30 juillet 2003). Pour le reste, je renvoie à la littérature en la matière, notamment H. Constanty, Le Lobby de la gâchette, Paris, Seuil, 2002 ; J.-P. Despin, M.-C. Bartholy, Chasseurs, Office National des Forêts et écolos : le trio infernal. La faune sauvage mise à prix, Paris, L’Harmattan, 2009 ; G. Charollois, Pour en finir avec la chasse. La mort-loisir, un mal français, Paris, Imho, 2009 ; P. Athanaze, Le Livre noir de la chasse. Massacres & abus de pouvoir, Paris, Sang de la Terre, 2011 ; et les tribunes d’Armand Farrachi dans Libération : « Chasse à courre, la loi du saigneur » (10 novembre 2008), « Le chasseur, une espèce menaçante » (7 juillet 2010) ainsi que son plaidoyer Pour la séparation de la chasse et de l’État, Gagny, Droits des Animaux, 2008.
  46. Les Français sont favorables à 66 % à l’interdiction de la corrida selon un sondage IFOP pour la Lettre de l’opinion (août 2010) et à 79 % à celle de la chasse à courre selon un sondage IPSOS pour l’association One Voice (juillet 2010).
  47. Dans les années 1980, au cours d’une campagne intense contre la chasse à courre, la Société protectrice des animaux (SPA) répond à la secrétaire d’État à l’environnement, Huguette Bouchardeau, souhaitant encadrer la pratique de la vénerie pour apaiser le conflit entre les chasseurs à courre et les défenseurs des animaux : « Règlementée ou non, aussi longtemps que la vénerie consistera à poursuivre jusqu’à épuisement, avec une meute de chiens, un animal terrorisé, nous combattrons jusqu’à son abolition cette tradition d’un autre âge » (Animaux magazine [publication officielle de la SPA], no 122, septembre-octobre 1983, p. 13). Pour un historique de l'opposition des associations françaises à la corrida, voir É. Baratay, É. Hardouin Fugier, La Corrida, Paris, PUF, 1995, p. 50 sqq., mentionnant des procès intentés dès la fin du dix-neuvième siècle par la SPA contre des toreros au nom des mauvais traitements condamnés par la loi Grammont (2 juillet 1850) ; pour la période récente, voir É. Hardouin Fugier, La Corrida de A à Z, Saint-Cyr-sur-Loire, Alan Sutton, 2010, p. 73-74. L'opposition à ces pratiques s'est singulièrement manifestée par des propositions de loi visant leur interdiction, pour l'instant sans effet (pour la corrida : Assemblée nationale, proposition de loi no 2735, enregistrée le 13 juillet 2010 ; pour la chasse à courre : Assemblée nationale, proposition de loi no 3497, enregistrée le 1er juin 2011).
  48. Sans que ce soit au désavantage de ces lobbies, à lire la prose de leurs cadres. Ainsi Philippe de Boisguilbert, représentant du monde de la chasse, déclare : « [Ils] nous rendent service les zozos du mouvement ALF [...] qui ont saccagé un élevage de gibier (...) Nous rendent toujours service ces militants terroristes de l’ALF qui ont fait brûler le marché aux bestiaux d’Ussel » ( « Combien sont-ils ? », Vènerie, no 174, juin 2009, p. 13).
  49. Ceci indépendamment de la majorité en place, semble-t-il. Pour éviter « les histoires avec les chasseurs », selon les termes employés par la presse spécialisée (Plaisirs de la chasse, no 720, juillet 2012, p. 29), un véritable « cordon sanitaire » a été installé en la personne « bienveillante » de Géraud Guibert au poste de directeur de cabinet de Nicole Bricq, ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie avant qu’elle ne soit mutée au ministère du Commerce extérieur.