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Cahiers antispécistes n°22 - février 2003

Tract

Au printemps dernier, à l’occasion de l’élection du Président de la République, la France a vécu deux semaines d’effervescence exceptionnelle. Au soir du premier tour, le 21 avril, le candidat d’extrême-droite Jean-Marie Le Pen avait devancé le candidat socialiste, restant donc en lice face au représentant de la droite, Jacques Chirac. En réaction au risque de légitimation politique de l’extrême-droite se développa un mouvement dit de « sursaut républicain » appelant au « rassemblement des démocrates », de droite comme de gauche, pour « faire barrage au fascisme » en votant Chirac. Ce manichéisme consensuel divisant l’univers en gens normaux – démocrates, républicains, humanistes bien-pensants – face à la barbarie diabolique de la bête immonde, fut par ailleurs dépassé par un autre, celui de la gauche et de l’extrême-gauche, qui différait du premier par une définition plus restrictive du camp des bons. L’idée se répandit de voter Chirac, mais en portant des gants pour marquer sa répugnance à se salir les doigts.

Cette surenchère de discours humanistes fondés sur l’auto-attribution d’un brevet de civilisation par opposition à la barbarie symbolisée par Le Pen donna envie à quelques personnes de rappeler, en particulier, les trois millions d’êtres sensibles que ces civilisés font élever et tuer chaque jour pour leur bon plaisir. Les Cahiers reproduisent ci-contre le tract que j’ai distribué (avec des gants !) en 800 exemplaires environ quelques jours avant le second tour, lors de la manifestation du 1er mai à Lyon.

D.O.

Dimanche, je voterai
pour le moins pire des deux.

Je voterai Chirac, avec des gants

Mais si je mettrai des gants,

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac est un menteur ;

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac est un escroc ;

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac favorise les favorisé-e-s et défavorise les défavorisé-e-s ;

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac promeut une idéologie raciste ;

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac est responsable d'une politique internationale égoïste, en particulier vis-à-vis des pays les plus pauvres ;

ce ne sera pas d'abord parce que Chirac fait partie d'un establishment politique qui porte une lourde responsabilité dans le génocide rwandais.

Ces raisons, ajoutées à bien d'autres, suffiraient pour que je mette ces gants.

Mais je mettrai ces gants d'abord :

parce que Chirac mange les animaux.

Je tenais à vous dire par ce tract que c'est aussi avec des gants que je viens dans cette manifestation du premier mai, parce que j'y côtoie des gens comme vous qui vous dites « antifascistes », mais qui, comme 99% des habitants de ce pays, mangez les animaux.

Parce qu'en faisant croire que vous êtes pour la justice, tout en mangeant les animaux simplement parce que vous en avez la possibilité, vous êtes un escroc.

Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont les relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent.

Milan Kundera, L'Insoutenable légèreté de l'être

Parce qu'en affirmant que les animaux ne souffrent pas, ne tiennent pas à leur vie, ou que par quelque magie métaphysique leur souffrance et leurs désirs importent moins que ceux des individus de votre propre espèce, vous mentez, aux autres et à vous-même.

En un jour ordinaire d'un pays en temps de paix...

Des oiseaux empalés rôtissent dans les vitrines. Des corps démembrés garnissent les étals. Sur les ponts des bateaux, des poissons tressaillants lentement s'asphyxient. Dans des hangars fétides, de mornes vies s'écoulent. On coupe à vif des becs, des dents, des testicules. On enfonce des embucs jusqu'au fond des gosiers. Partout roulent des camions bourrés de condamnés. Ceux qu'on va égorger, saigner et dépecer.

En ce jour ordinaire, ceux qui ont peur et mal se comptent par millions. Dans ce pays en paix, la torture et le meurtre sont le lot quotidien.

Tract de la Veggie Pride, http://www.veggiepride.org/

Parce qu'au lepéniste « les Français d'abord » répond votre également sinistre « les humains d'abord ».

Parce que, vis-à-vis des trois millions d'êtres sensibles abattus chaque jour en France, Chirac est...

...comme Le Pen, comme vous.

Oui, Le Pen est fasciste ; mais vous, qu'êtes-vous, au juste, face aux animaux ?

Toutes les autres créatures n'ont été faites que pour lui fournir de la nourriture, des peaux ; pour être tourmentées, exterminées. Face à elles, tous les êtres humains sont des nazis. Pour les animaux, le monde est un éternel Treblinka.

Isaac Bashevis Singer, The Letter Writer

Non, l'égalité morale n'a aucune raison d'être limitée aux frontières de l'espèce humaine.

David Olivier, Lyon, 1er mai 2002

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